Le paléontologue Jean Clottes est spécialiste de l'art pariétal sur l'ancien continent et de l'art rupestre en Inde. C'est lui qui a été chargé de l'étude scientifique de la grotte Chauvet, découverte en 1994 à Vallon-Pont-d'Arc, en Ardèche.
L'homme à l'irrésistible accent de Toulouse se souvient de son émotion lorsqu'il s'est glissé pour la première fois dans ce sanctuaire, totalement préservé grâce à un éboulement il y a plus de 20'000 ans. Et de son émerveillement devant les nombreuses peintures rupestres qui ornent les parois. Vieilles de 36'000 ans, les grottes abritent sur environ 9'000 m2 parmi les plus anciennes peintures ruspestres en Europe - la plus ancienne peinture figurative (40'000 ans) ayant été découverte en novembre 2018 dans une grotte de Bornéo.
La première représentation d'un hibou
Le site, désormais classé au patrimoine de l'Unesco, comprend un millier de peintures et de gravures, dont 447 représentations d'animaux. Certains ont disparu comme le rhinocéros laineux, la panthère des neiges ou le lion des caverne. D'autres sont plus familiers tels les bouquetins ou les bisons. Les grottes Chauvet abritent également la première représentation au monde d'un hibou, figuré ici la tête à l'envers.
"Au fond de la grotte, il y a une fresque représentant neuf lions qui chassent des bisons. Etrangement, les lions n'ont pas crinière alors qu'on sait qu'il s'agit de mâles puisqu'ils sont dotés de testicules", fait remarquer le préhistorien. Pourquoi? Comment? Voilà de quoi mettre en ébullition tous les experts du monde.
Des techniques picturales remarquables
Pour sa part, Jean Clottes dit avoir été subjugué par la beauté et la qualité technique du panneau représentant quatre chevaux. "On a l'impression qu'ils hennissent, qu'ils sont en vie", s'enthousiasme le paléontologue. D'ailleurs, la diversité des techniques (gravure, estompe, préparation des parois par raclage, détourage des contours etc) autorise à parler d'un art préhistorique. Art qui permet aussi de documenter les espèces diparues, comme le mammouth, qui vivait alors en Ardèche.
Animaux dangereux "dressés" par le dessin
Quelque 64% des animaux représentés sont dangereux, féroces et non chassés, contrairement au bestiaire de Lascaux, plus proche de nous (entre 17 et 18'000 ans). "Il y a 36'000 ans, on ne peignait pas sur les murs pour faire de l'art, décorer ou s'amuser. Vraisemblablement, ces représentations avaient un rapport avec les croyances de l'homo sapiens sapiens de l'époque: une image a toujours quelque chose à voir avec la réalité, c'est pourquoi tant de gens détestent être photographiés. Dessiner un animal, c'est lui prendre un pan de sa réalité, donc avoir un certain pouvoir sur lui".
Pour que la grotte Chauvet ne subisse pas les mêmes dommages que celle de Lascaux, dont les oeuvres ont été altérées par le tourisme, une réplique du site a été inaugurée en avril 2015.
Propos receuillis par Nancy Ypsilantis/mcm