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Bertrand Périer: "En banlieue, les filles sont déterminées à prendre la parole"

Bertrand Périer, avocat et auteur de lʹouvrage "La parole est un sport de combat" aux éditions JC Lattès, dans le film "À voix haute" de Ladj Ly et Stéphane de Freitas. [Mars Films]
Enseigner l'éloquence dans les banlieues sensibles: interview de Bertrand Périer / Forum / 7 min. / le 19 novembre 2019
Bertrand Périer enseigne l'éloquence dans les banlieues sensibles. Après "A voix haute", un documentaire retraçant cette expérience, il sort un livre, "Sur le bout de la langue", dans lequel il évoque ce goût des mots qu'il s'efforce de transmettre aux jeunes.

Bertrand Périer est avocat et spécialiste de l'art oratoire à Paris. Il y a quelques années, il décide d'aller enseigner l'éloquence dans certaines banlieues sensibles. Une expérience qui inspire un documentaire sorti en 2017 intitulé "A voix haute - la force de la parole", réalisé par Stéphane de Freitas.

Bertrand Périer publie aujourd'hui un livre, "Sur le bout de la langue" (éditions JC Lattès), dans lequel il livre une déclaration d'amour aux mots. Un livre à la fois ludique et stimulant, une exploration de la langue française qui dessine le portrait d'un défenseur d'une parole sincère et authentique.

Au fil des ans, Bertrand Périer est devenu un activiste de la langue. Sa rencontre avec l'avocat genevois Marc Bonnant est pour beaucoup dans son parcours: "Il est mon grand mentor en matière d'art oratoire". Si Marc Bonnant est connu en Suisse romande pour être un habile orateur et un très beau parleur, il n'est pas quelqu'un qui souhaite véritablement démocratiser cet art, contrairement à Bertrand Périer.

S'en sortir par les mots

"J'avais bien conscience que la parole est un marqueur social et que l'on avait tendance à catégoriser les gens en fonction de la façon qu'ils avaient de s'exprimer et de maîtriser les codes de la prise de parole en public. Moi je n'avais jamais appris l'art de la prise de parole pendant mes études. J'avais appris en la pratiquant en tant qu'avocat. J'avais envie, ayant collecté quelques conseils au fur et à mesure de mon exercice, de le transmettre, pour éviter que ces jeunes gens notamment dans les banlieues autour de Paris, soient enfermés, par la façon dont ils parlent, dans des destins tout tracés", explique Bertrand Périer à la RTS.

Dans des écoles dans lesquelles les jeunes se comportent parfois comme des "consommateurs de savoir" qui zappent si les cours ne les intéressent pas, Bertrand Périer propose des cours lors lesquels les élèves n'ont à gagner aucun point ou aucune note. Ils sont déterminés à échapper à des destins parfois difficiles grâce à la maîtrise de la parole, "à s'en sortir par les mots".

Il y a chez eux une forme d'urgence dans le message et une forme de parole vitale, parfois un peu brutale aussi, mais finalement, on parle comme on est.

Bertrand Périer, avocat et spécialiste de l'art oratoire

Il arrive qu'un jeune se prenne de passion pour la langue et l'art oratoire: "Ça me comble", dit Bertrand Périer qui suit le parcours de ces adolescents. "Certains d'entre eux ont acquis plus de confiance en eux, une meilleure image d'eux-mêmes, et pour un professeur en réalité le seul bonheur, c'est de voir ses élèves s'épanouir".

Une parole partagée

Dans son livre "Sur le bout de la langue", Bertrand Périer fait le constat que dans le monde francophone, on n'initie pas assez tôt les enfants à la prise de parole en public. Pour lui, on devrait réinstaurer les cours de rhétorique dans les écoles dès les classes de primaire. "C'est entre 8 et 10 ans que la parole ne pose aucun problème. Après, quand on est adolescent, c'est plus complexe parce qu'il y a une question d'image de soi. Or un orateur c'est d'abord un corps qui parle et le regard de l'autre peut être un peu inhibant. Je crois que c'est en amont qu'il faut faire ces jeux".

C'est assez ludique d'apprendre à parler. Simplement, il faut décharger cela de toute forme de pression, de toute forme de tension, d'exigence. Il faut être exigeant bien sûr, mais il ne faut pas non plus avoir une angoisse de performance.

Bertrand Périer, avocat et spécialiste de l'art oratoire

Bertrand Périer souligne dans son livre qu'il n'y a pas la même sensibilité à la langue chez les garçons et chez les filles. Il a constaté, en donnant ses cours, que les garçons s'y inscrivaient en général plus que les filles. "Le seul endroit où c'est plus paritaire et mieux équilibré, c'est dans les quartiers difficiles. Je me dis qu'il y a peut-être là le ferment d'un espoir". Dans les quartiers plus favorisés, les filles auraient, selon Bertrand Périer, intégré le fait que la parole est un monopole masculin, "ce qui est évidemment complètement faux", précise-t-il. Dans les quartiers plus difficiles, en banlieue, il a constaté que les filles sont encore plus déterminées à prendre la parole: "Je m'en réjouis, car la parole doit être partagée".

Propos recueillis par Renaud Malik

Adaptation web: Lara Donnet

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