Cruel destin que celui de Boris Vian, pourtant né à première vue sous une bonne étoile le 10 mars 1920 dans une famille aisée. A l'occasion du centenaire de sa naissance, retour sur la courte vie de l'auteur de "L'Écume des jours".
Chapitre 1
L'ami de cœur
AFP
Cruel destin que celui de Boris Vian. Il était HP (haut potentiel), comme on le dit aujourd'hui, aux multiples talents, mais une maladie auto-immune le condamne à une grave déficience cardiaque.
Son palpitant le lâche précisément à l'âge de 39 ans, le 23 juin 1959, en pleine projection du film "J'irai cracher sur vos tombes" dont il avait écrit le polar sous le pseudonyme de Vernon Sullivan en 1946.
Chapitre 2
Famille cultivée et jazzy
Roger-Viollet - Lipnitzki
De ses parents fortunés et bienveillants, jusqu'au crash de 1929, Boris Paul Vian a retenu une curiosité en constant éveil, le goût des arts et le sens de la fête. Socle solide sur lequel le greffon n'eût guère de peine à épanouir sa propre floraison, en littérature, en musique, en camaraderie, sans séparation entre elles.
Il faut dire que la famille du violoniste prodige Yehudi Menuhin louait au père de Boris, Paul Vian, la grande maison voisine; mots et notes devinrent donc, comme dans la vraie vie des enfants, d'indéfectibles compagnons de jeu.
A quinze ans, Boris commence à taquiner sa "trompinette" qu'il embouchera plus tard dans de mémorables jam sessions et qui le poussa dans la "chansonnette", deux diminutifs que le ludion aime à colporter pour arraisonner l'esprit de sérieux. Car c'est bien le jazz qui devient sa passion au sein du Hot-Club de France, rythme, improvisation, culture noire américaine, tout un univers qui singularise son écriture.
Sa première tentative littéraire, en 1941, le voit poète de "Cent sonnets",ou l'art de s'exercer aux rimes dont ses chansons bénéficieront plus tard.
Durant la guerre, sa pathologie cardiaque l'ayant éloigné des hostilités, il se lance dans la rédaction de scénarios, saynètes et contes puis des romans dont les intrigues féeriques traduisent avec élégance sa grande imagination.
Chapitre 3
Pataphysicien et poursuivi
Ina/AFP - Philippe Bataillon
Taraudé par sa pathologie dont il cherche à chasser la menace, abasourdi par le meurtre de son père lors du cambriolage de la maison familiale à Ville-d'Avray en 1944, Boris Vian n'a pourtant jamais versé dans la tragédie, bien au contraire. Devenu un jeune père et ingénieur à 22 ans pour gagner sa vie, il multiplie les scènes d'intervention dans le bouillonnement culturel de l'après-guerre, entre cinéma, existentialisme et chanson Rive-Gauche.
En 1946, son amitié avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir lui permet de vivre l'aventure de la revue "Les Temps Modernes" dans laquelle il signe des articles. La même année, il publie son chef-d'œuvre "L'Écume des jours" dont la véritable portée sera mieux reçue par les jeunes soixante-huitards, dix ans après sa mort. Mais son véritable biotope (l'esprit d'invention, l'improvisation, l'enchantement du quotidien) l'oriente d'emblée vers la pataphysique que Raymond Queneau avait "inventée" et qu'il fréquente assidûment dès 1952, en y franchissant les grades loufoques jusqu'à devenir "Satrape et Promoteur Insigne de l'Ordre de la Grande Gidouille" au sein du Collège.
Plus qu'une amuserie, cette camaraderie potache lui offre une nouvelle famille alors qu'il traverse un divorce pénible et affronte des poursuites judiciaires pour son roman policier "J'irai cracher sur vos tombes" déclaré pornographique par la justice.
Chapitre 4
Variétés pour esprit curieux
AFP - Louis Joyeux / Ina
En pleine possession de ses envies ludiques, mais atteint à plusieurs reprises dans sa santé, Vian n'en rivalise pas moins d'activités tous azimuts, occupant par ailleurs un poste à plein temps chez Philips.
En 1954, il empoigne le monde de la chanson en composant des dizaines de titres qu'il finit par interpréter lui-même avec une ironie sans pareille. Véritable trésor de la chanson française, le monde de Boris Vian creuse le bizarre, l'improbable, les situations-limite et dénonce l'époque par la bande, hormis le célébrissime "Déserteur" qui fut d'emblée censuré sur les ondes en pleine Guerre d'Algérie.
Rien chez Vian ne se veut grave, rien n'invite à la tristesse. Et pourtant, à y regarder de plus près, ses lecteurs et auditeurs sentent pointer dans ses romans, dans ses "chansonnettes", des menaces indicibles, masquées par un rire sardonique ou un sourire énigmatique. Forme supérieure de politesse, en somme, de charme et de gentillesse dans un monde qui s'en éloigne de plus en plus.
Le succès de l'œuvre de Vian, accueillie désormais dans la Bibliothèque de La Pléiade chez Gallimard dans une réédition pour le centenaire 2020, s'explique sans doute par cette forme de jeu permanent avec la mort, le détournement des codes littéraires, le loufoque qui le rapproche parfois de Kafka, n'était chez lui un sens aigu de la "déconnade", car enfin, riez, rions, nous n'en sortirons pas vivants!