En matière de suspense, "l'énigme de la chambre 622", nouveau roman de Joël Dicker paru lundi, fait déjà assez fort: une fausse sortie annoncée avant la vraie, entrecoupée d'une petite crise sanitaire mondiale... Le livre était à quelques jours de sa sortie en Suisse lorsque tout a été interrompu.
Bon pour la promo? "Je ne sais pas, le message est peut-être devenu confus. Je le vis, en tout cas, comme une nouveauté. J'ai presque l'impression d'avoir eu deux livres, avec le trac d'un livre déjà écrit et imprimé" auquel on ne peut rien changer, avoue Joël Dicker. "Est-ce que j'ai été capable de dire ce que je voulais dire, est-ce que les gens vont comprendre ce que j'ai écrit, non seulement dans les mots, mais aussi ce qu'il y a entre les lignes?"
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Entre la réalité et l'imaginaire
La trame de son nouveau roman se déroule en grande partie à Genève, où Joël Dicker a grandi et habite. Paradoxalement, donner à son histoire un cadre familier n'a pas été simple: "J'ai eu énormément de peine à inventer un imaginaire dans la ville dans laquelle, pour moi, tout est la réalité. J'ai dû apprendre, très lentement, à raconter une Genève de sentiments, une Genève telle que je la perçois à l'intérieur de moi, et pas une Genève de faits".
J'ai eu énormément de peine à inventer un imaginaire dans la ville dans laquelle, pour moi, tout est la réalité
Témoin de cet affrontement entre la réalité et l'imaginaire, il lui a fallu un apprentissage pour se dire "voilà, je peux inventer une rue, un parc, un lieu dont je vois qu'il n'existe pas, même quand je me promène".
"Il va falloir se réinventer"
Son agenda, comme tous les autres, s'est effacé le temps d'une conférence de presse du Conseil fédéral en mars dernier. Il a donc occupé son temps "bien et mal: mal parce que je n'ai pas fait grand-chose, mais bien parce que je crois que c'est ce qu'il fallait faire, c'est-à-dire éviter un maximum de rencontrer des gens. On se réfrène, c'est un apprentissage. On est responsables de la suite", estime-t-il, un mot qui ne quitte pas son discours lorsqu'il évoque la crise du Covid-19, mais aussi d'autres sujets.
Comment l'écrivain appréhende-t-il le "monde d'après" qui pourrait marquer un tournant dans nos vies? "Il va falloir se réinventer. Jusqu'à maintenant, on était un peu des enfants, avec le gouvernement qui nous disait 'voilà, restez ici, vous devez faire ça et ne pas faire ça'… Maintenant, les mesures sont en train d'être levées et nous devons nous tenir à peu près bien pour qu'il n'y ait pas de deuxième vague", constate Joël Dicker.
"Je n'ai pas spécialement envie de me dévoiler"
Vue sous le prisme de la fiction, la pandémie qui frappe la planète a tout d'un joli spécimen capable de faire tourner la tête de n'importe quel romancier... mais aussi d'enflammer ce que le monde compte d'adeptes des théories du complot. "Dans un roman, cependant, le lecteur sait qu'il est dans une fiction. Le complot est plus pervers, parce que le propagateur est persuadé que ce qu'il raconte est vrai. On en revient à la responsabilité: ne pas véhiculer des imbécillités à tout bout de champ est devenu quelque chose d'essentiel pour notre bien vivre", s'anime l'écrivain, qui insiste sur l'importance de délimiter qui sont les experts et qui ne le sont pas, à une époque où l'information est accessible en abondance.
Ne pas véhiculer des imbécilités à tout bout de champ est devenu quelque chose d'essentiel pour notre bien vivre
Même si quantité de portraits du jeune surdoué de la littérature romande paraissent régulièrement dans la presse, Joël Dicker se dévoile finalement peu et reste assez discret dans ses prises de position, un peu à la manière d'un certain Roger Federer. "L'image la plus importante qu'on peut se faire de moi, c'est celle qu'on va se faire en lisant mes livres. C'est ce qui me parle le plus. Je n'ai pas envie d'en donner trop. On ne me connaît pas, et ça me plaît assez! Je n'ai pas spécialement envie de me raconter, de me dévoiler", se défend celui qui fêtera ses 35 ans le mois prochain avec ce cinquième ouvrage.
Propos recueillis par David Berger
Adaptation web: Vincent Cherpillod
"Interdire la vente de livres en ligne ne règlera pas les problèmes"
Interrogé sur les difficultés rencontrées par les petits libraires, soumis à la concurrence des géants de la vente en ligne et durement touchés par deux mois de fermeture, Joël Dicker constate que leur avenir est entre les mains des lecteurs. "Je ne suis pas un partisan de l'interdiction de la vente en ligne, mais de la responsabilité. C'est à chacun d'être conscient que les commerçants dépendent de nous, au consommateur de décider si oui ou non il veut des magasins en ville, ou s'il n'en veut plus".
Difficile cependant pour un fils de libraire de cacher son attachement aux magasins physiques: "Allons dans les magasins, privilégions ceux qui ont dû fermer pendant deux mois et sont aujourd'hui dans une difficulté économique très importante", invite-t-il.