Oeuvre abrupte, rugueuse, perturbante mais maîtrisée de bout en
bout, «4 mois, 3 semaines et 2 jours» raconte avec puissance et
crudité comment un avortement dans la Roumanie communiste de 1987
qui l'interdisait pouvait tourner au cauchemar. Ce tour de force de
Cristian Mungiu, 39 ans, illustre l'extraordinaire vitalité du
nouveau cinéma roumain, déjà récompensé samedi par le prix "Un
certain regard" (voir ci-contre).
"Pour moi c'est un peu un conte de fées", a commenté Mungiu, 39
ans, sous des applaudissements très nourris. "J'espère que cette
Palme d'or sera une bonne nouvelle pour les petits cinéastes des
petits pays car il semble enfin qu'on ait plus besoin de gros
budgets et de grandes stars pour faire une histoire que tout le
monde écoutera", a-t-il poursuivi.
Premier long métrage déjà remarqué à Cannes
«4 mois, 3 semaines et 2 jours» est son deuxième long métrage.
Il l'a tourné avec un petit budget: moins de 600'000 euros (990'000
francs). Présenté en début de compétition, l'ouvrage avait fait
sensation et revenait régulièrement en tête des pronostics des
festivaliers.
Le lauréat a suivi des études de littérature anglaise et
américaine avant d'être diplômé de l'Ecole de cinéma de Bucarest.
Il a réalisé des courts métrages et son premier long métrage,
«Occident», a été remarqué en 2002 à Cannes, dans une section
parallèle, La Quinzaine des réalisateurs.
La Palme d'or est représentative d'une 60e édition du Festival de
Cannes qui a résolument distingué un jeune cinéma incisif à la
tonalité plutôt sombre, en donnant la primeur à des films tout
aussi engagés sur les plans moral et politique qu'exigeants sur le
plan esthétique.
Grand Prix pour la "Forêt de Mogari"
Le Grand prix du 60e Festival de Cannes, la plus haute
distinction après la Palme d'or, a lui été décerné à "La forêt de
Mogari" de la cinéaste japonaise Naomi Kawase - Caméra d'or en 1997
avec "Suzaku".
Dévoilé en fin de compétition, "La forêt de Mogari" évoque le
deuil à travers le portrait d'un vieil homme et d'une jeune femme
qui tous deux s'enfoncent dans une forêt, après la perte d'un être
cher. Ce film au rythme lent, imprégné d'une ambiance mystique et
magnifiquement photographié, avait captivé une partie du
public.
Prix spécial pour "Paranoïd Park"
Un prix spécial du 60e anniversaire a été décerné à Gus Van
Sant, pour "Paranoïd Park". Visuellement envoûtant, servi par le
jeu convaincant d'acteurs débutants et une bande son originale, ce
«Crime et châtiment au lycée» comme le définit son auteur, colle
aux pas d'Alex. Ce skater de 16 ans tue accidentellement un agent
de sécurité dans un skate park mal famé de Portland, le «Paranoid
Park».
Prix d'interprétation plus surprenants
Les pric d'interprétation récompensent deux nouveaux venus sur
la scène internationale. Côté féminin, Jeon Do-Yeon ("Secret
Sunshine") triomphe tandis que le Russe Konstantin Lavronenko, dans
"Le bannissement" remporte le prix côté masculin. Une surprise par
rapport au favori fréquemment cité: Mathieu Amalric pour "Le
scaphandre et le papillon".
Le Prix à la Coréenne Jeon Do-Yeon ne constitue, elle, qu'une
demi-surprise même si Anamaria Marinca ("4 mois, 3 semaines et 2
jours") et Galina Vichnevskaïa ("Alexandra") étaient fréquemment
citées. Jeon Do-Yeon, qualifiée d'acrtice caméléon, porte le long
film de deux heures et 22 minutes à bout de bras: elle apparaît
dans la quasi-totalité des scènes.
Le film d'animation "Persépolis", adaptation de la bande dessinée
de la Française d'origine iranienne Marjane Satrapi et récit de la
Révolution islamique de 1979, a obtenu le prix du jury, ex aequo
avec "Lumière silencieuse" du Mexicain Carlos Reygadas.
Valeurs sûres bredouilles
Le prix du scénario est décerné à Fatih Akin (Allemagne) pour
"De l'autre côté" et celui de la mise en scène à un autre sérieux
concurrent pour la Palme: Julian Schnabel (USA) pour "Le scaphandre
et le papillon".
Au final, un nom brille par son absence du palmarès: "No country
for old men", le film pourtant très remarqué des frères Coen. Moins
étonnant, des valeurs aussi confirmées que Emir Kusturica, Quentin
Tarantino, Wong Kar-wai ont été boudées. Les réactions étaient
d'ailleurs pour le moins mitigées au sortir des projections de
leurs films respectifs.
agences/het
La Nouvelle vague roumaine
La Roumanie ne produit que 10 à 15 films par an et son cinéma n'obtient sur son territoire national que 4% de parts de marché. Après une année noire en 2000 où aucun film n'a été produit, le pays commence à se faire remarquer dans les festivals.
Dix-huit ans après la chute du régime de Nicolae Ceaucescu, ce cinéma se remet de «trente ans de communisme, une période où le cinéma roumain était sinistré et ne servait que d'outil de propagande», explique le producteur Andrei Bronca dans un entretien au magazine Le Film français.
La Nouvelle vague du cinéma roumain a brillé durant le festival de Cannes. Outre la Palme d'or et le Prix de la critique remis à Cristian Mungiu, le prix de la section Un Certain Regard a salué samedi soir «California dreamin», premier long métrage de Cristian Nemescu. Ce réalisateur a trouvé la mort l'été passé, à 27 ans, dans un accident de voiture.
Les quinze dernières Palmes d'or
- 2006: "Le vent se lève", de Ken Loach (GB)
- 2005: "L'enfant", de Luc et Jean-Pierre Dardenne (Belgique)
- 2004: "Fahrenheit 9/11", de Michael Moore (USA)
- 2003: "Elephant", de Gus Van Sant (USA)
- 2002: "Le pianiste", de Roman Polanski (Pologne)
- 2001: "La chambre du fils", de Nanni Moretti (Italie)
- 2000: "Dancer in the Dark", de Lars von Trier (Danemark)
- 1999: "Rosetta", de Luc et Jean-Pierre Dardenne (Belgique)
- 1998: "L'Eternité et un jour", de Theo Angelopoulos (Grèce)
- 1997: "Le goût de la cerise", d'Abbas Kiarostami (Iran) et "L'anguille", de Shohei Imamura (Japon)
- 1996: "Secrets et mensonges", de Mike Leigh (GB)
- 1995 : "Underground" de Emir Kusturica
- 1994 : "Pulp fiction" de Quentin Tarentino (Etats-Unis)
- 1993 : "La leçon de piano", de Jane Campion (Australie) et "Adieu ma concubine" de Chen Kaige (Chine)
- 1992 : "Les meilleures intentions" de Bille August (Danemark)