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A Beyrouth, la vie culturelle est en ruine après l'explosion

Les dégâts dans le Sursock Museum de Beyrouth le 8 août 2020. [Sursock Museum / AFP]
Beyrouth: destruction de la vie culturelle / Vertigo / 15 min. / le 13 août 2020
Depuis le 4 août, Beyrouth est une ville dévastée. Certains de ses musées, de ses œuvres d'art ou de ses lieux culturels se retrouvent sous des débris, de la poussière, des vitres... Dans ce paysage de désolation, que peuvent les artistes, que peut la culture pour la reconstruction de la capitale?

Le vidéaste libano-suisse Nabil Canaan, directeur de STATION, premier espace interdisciplinaire expérimental de Beyrouth, est sous le choc. Il a quitté la capitale libanaise où il vit et travaille deux jours avant l'explosion. "Même à distance, on vit les événements de Beyrouth charnellement", dit-il. Sa galerie a été créée en 2013 dans l'ancienne usine de bois de son grand-père. Un endroit à l'esprit "un peu punk", avec un programme hybride interdisciplinaire. "C'est très 'Bains des Pâquis', j'ai quand même grandi à Genève. Je voulais amener un petit peu de cela au Liban", explique Nabil Canaan.

Dans l'espace STATION, des répétitions de théâtre étaient en cours quand la déflagration a retenti. Le lieu ne se trouve qu'à 4,5 km du lieu de l'explosion. La porte d'entrée de l'usine a explosé, les vitres aussi. "Mais le pire, c'est l'onde de choc que les gens ont ressenti dans leur corps et le bruit de l'explosion des vitres", raconte Nabil Canaan qui pense que cet événement va marquer durablement toute une génération.

L'art pour la transformation sociale

Le Liban n'en est pas à son premier choc. La révolution d'octobre 2019 en est la preuve. Le soulèvement du peuple contre le régime a commencé avec beaucoup de bonne volonté et de créativité à grand renfort de street-art, de chaînes humaines et de danse. Au début de la révolution, tous les espaces culturels ont signé un manifeste se mettant en grève pour soutenir le peuple. "Enfin, moi je n'ai jamais vu cela comme une révolution. L'existence même de STATION est basée sur l'art pour la transformation sociale. On a fait des expos de DADA, probablement les premiers événements punks... on est là pour secouer les gens, c'est un peu bizarre d'utiliser ce mot maintenant. Secouer la pensée et sortir les gens du statut quo qui existe dans le pays et la région depuis au moins 50 ans" dit Nabil Canaan.

The Wedding from Yara Bou Nassar on Vimeo.

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"L'image de Beyrouth à l'étranger est basée sur deux axes: Israël et les problèmes militaires et politiques, ou la ville de la fête, des plages et de la bouffe. C'est réducteur et simpliste et ça limite la façon dont les Libanais eux-mêmes se voient. J'ai un problème avec ça" explique le directeur de STATION pour qui le projet derrière cette galerie est justement de raconter une autre histoire.

Le choc de trop

Depuis l'explosion du 4 août, la ville et le peuple doivent faire face à la destruction de toute une vie culturelle. Pourtant, pour Nabil Canaan, il est trop tôt pour savoir comment les artistes vont faire face à ces pertes. Dans l'immédiat, la priorité est d'aider les gens. Et le soutien à la population a débuté bien avant l'explosion.

Au fil des derniers mois, en raison de de la crise économique, l'espace artistique STATION s'est peu à peu mué en centre d'aide humanitaire. Une distribution de nourriture et de produits sanitaires a lieu depuis le mois d'avril déjà. Les containers arrivant à STATION servent à nourrir plus de 12'000 familles par mois. "On ne parle plus de faim, on parle de famine. La seule salle qui reste maintenant à la galerie est dédiée à la distribution d'habits et de médicaments".

Depuis l'explosion, le monde culturel et les artistes sont sous le choc. Ils l'étaient déjà à cause du COVID-19 et avant cela, à cause de la crise économique. "On est résilients dans le sens où on répare tout de suite. On ne laisse pas moisir, le choc viendra après coup. Il y a beaucoup de traumas depuis la guerre qui n'ont pas été soignés [...] On n'a pas de public. On n'a pas de programmation. On n'a pas de revenus. Les lumières risquent de s'éteindre partout" explique Nabil Canaan qui termine en disant: "On ne veut plus être forts, on veut juste vivre".

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Propos recueillis par Miruna Coca-Cozma

Adaptation web: Lara Donnet

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