Il pleut des cordes à Locarno. Après une semaine de soleil, le
ciel s'est effondré mercredi soir, au moment même où Jacob Berger
devait dévoiler au grand public sa dernière création, «1 Journée»,
contraignant les organisateurs à déplacer la séance à l'intérieur.
Mercredi, au lendemain de ce départ en fanfare, Jacob Berger et
Noémie Kocher sillonnent un festival qu'ils connaissent bien,
évitent les gouttes et se réfugient, pour notre plus grand bonheur,
dans un dépôt de la salle de presse, seul endroit non pris d'assaut
par les passants fuyant la pluie comme la peste. Le calme revenu,
entre deux piles de catalogues du festival - une bible de près 400
pages - et trois caddies débordant de papiers, les deux complices
font fi de la malchance et évoquent le projet sur lequel ils ont
travaillé, ensemble, durant trois longues années.
TXT: votre film "1 Journée" a été projeté pour la première fois
mercredi soir à Locarno. Test réussi malgré la pluie?
Jacob Berger: avec les années, j'ai appris à ne plus me soucier
de la pluie... C'est toujours assez difficile de sonder le public
dans un festival, mais je crois que le film a été assez bien
accueilli. J'ai senti qu'il avait touché le public. Certaines
scènes que nous avons voulu drôles ont fait rire les gens alors que
nous, à force de voir et revoir le film au montage, nous finissions
par nous demander si elles étaient vraiment drôles. Ce n'était pas
gagné d'avance, mais il y avait une nouvelle fraîcheur dans la
rencontre du film avec le public qui nous a fait très plaisir.
A 43 ans, c'est la troisième fois que vous présentez un film à
Locarno, c'est également votre troisième long métrage de fiction.
La situation a-t-elle beaucoup évolué en 17 ans?
Jacob Berger: disons que je suis un plus âgé (rire). Je
m'attends moins à de grandes choses et j'essaie de prendre les
choses avec un peu plus de distance...
Est-ce à dire que vous n'aviez aucune appréhension?
Jacob Berger: j'essaie en tout cas de m'en débarrasser. Je
n'aime pas tellement vivre avec la peur... Et puis on se formalise
moins durant un festival, dans un moment fraternel, qu'au moment de
la sortie en salle, où le public vient spécialement pour découvrir
votre œuvre.
Je me sens dans une
période très créative
Jacob
Berger
Pour la première fois, vous avez fait aboutir un projet
ensemble. Expliquez-nous la genèse de cette co-écriture.
Noémie Kocher: c'était une envie de ma part de créer un certain
personnage féminin, en l'occurrence une femme, Mathilde, mariée
mais dont la vie lui échappe (ndlr: incarnée par Natacha Régnier).
Ensuite nous est venue l'idée de confronter le point de vue féminin
au masculin, de créer une histoire, un endroit (ndlr: la banlieue
genevoise de Meyrin) et un décor.
Jacob Berger: nous avons effectivement intégré un mari et un
enfant au récit. Le personnage de Serge, l'époux (ndlr: Bruno
Todeschini), est d'ailleurs devenu le moteur de l'histoire après
son accident. Puis nous avons voulu raconter l'histoire de
différents points de vue et engager un jeu avec le spectateur, qui
découvre au fur et à mesure de nouveaux éléments de l'intrigue.
L'écriture du scénario nous a pris environ deux ans.
Noémie Kocher: ce fut une écriture à quatre mains qui a
parfaitement fonctionné!
Dans «1 Journée», vous avez réussi une mise en scène plus
aboutie que dans vos deux premiers longs métrages. Vous le
ressentez aussi ainsi?
Jacob Berger: oui, c'est vrai. J'ai pris plus de distance et le
film est plus formel. «Aime ton père» (2002) était un film très
proche de moi, qui parlait de mes rapports avec mon père (ndlr:
l'écrivain anglais John Berger). Avec, qui plus est, la présence de
Gérard et Guillaume Depardieu qui étaient eux-mêmes dans un rapport
très intense. Durant le tournage, la réalité interférait beaucoup
avec la fiction. A l'inverse, le tournage d' «1 Journée» a été très
harmonieux.
Vos derniers longs métrages ont traité de sujets assez
difficiles à aborder au cinéma (la relation père-fils dans «Aime
ton père», l'adultère). A quand une bonne vieille comédie?
Jacob Berger: on ne se refait pas d'un jour à l'autre (rire)...
Cela dit, c'est vrai que je réfléchis à une comédie sur la
célébrité qui pourrait déboucher sur un film. Mais je veux aussi
continuer à inventer des projets pour la TSR ou la télévision
française. Il n'y a que peu de réalisateurs, ceux dont chaque
nouveau film est sélectionné à Cannes, qui peuvent vivre
exclusivement du cinéma...
De nombreux projets sont donc en cours?
Jacob Berger: de nombreuses idées en tout cas. Au départ, le
scénario d' «1 Journée» devait raconter l'histoire d'une femme au
tournant du 20e siècle. Mais pour des raisons de coût (un film
d'époque coûte très cher), nous l'avons ancré aujourd'hui. Mais
réaliser un film d'époque reste quelque chose qui nous tient à
cœur. En fait, je me sens dans une période très créative, avec à la
fois l'envie de réaliser d'un côté des projets de cinéma plus
commerciaux et moins personnels, et de l'autre des films très
conceptuels. C'est une diversité qui me permet d'avoir un
équilibre.
Et qui vous permet de varier les plaisirs...
Jacob Berger: c'est vrai. Un film comme «1 Journée» demande
énormément de travail, des efforts financiers de part et d'autre,
pour finalement devoir se battre avec des grosses machines
commerciales pour survivre. Il faut d'ailleurs bien réfléchir à la
date de sortie (ndlr: en octobre ou en novembre) pour ne pas tomber
la même semaine que Harry Potter! On se dit alors que bosser sur un
projet moins casse-tête permet de respirer quelque peu...
Quant à vous Noémie, l'expérience cinématographique vous donne
envie de poursuivre dans cette voie?
Noémie Kocher : je dois dire que je n'ai jamais fait de
différence entre TV et cinéma. J'ai eu de très beaux rôles à la
télévision (ndlr: on a pu la voir notamment dans «La Crim» et
«Vénus et Apollon») et je n'y renoncerai pas. Je continuerai aussi
à faire du théâtre.
Et l'écriture de scénarios?
Noémie Kocher : c'est quelque chose que j'avais envie de faire
depuis longtemps. J'y suis enfin parvenue et j'ai bien entendu
envie de continuer. Actuellement, j'écris le scénario d'une
co-production franco-suisse sur l'épopée d'une grande marque
horlogère dans les montagnes neuchâteloises.
Propos recueillis par Patrick Suhner
Le parcours de Jacob Berger
Né en Grande-Bretagne, à Lydney, en 1963, fils du célèbre écrivain John Berger, Jacob Berger réalise des films depuis près de 20 ans. Touche-à-tout, il a mis en boîte son premier long métrage, «Les anges», en 1989.
Ce film a été présenté sur la Piazza Grande en 1990 et a été suivi par la réalisation de nombreux documentaires pour le compte de l'émission «Temps Présent» de la TSR, ainsi que des téléfilms.
Jacob Berger a réalisé son deuxième long métrage en 2002, «Aime ton père» (avec Gérard et Guillaume Depardieu), présenté en compétition à Locarno.
Filmographie sélective:
Une journée (2007)
Le Rêve, (série, 2006)
Aime ton père (2002)
Nestor Burma (série, 2 épisodes, 2000-2002)
Joséphine, ange gardien (série, 1 épisode, 2001)
Docteur Sylvestre (série, 1 épisode, 1998)
Rachel et ses amours (téléfilm, 1997)
Julie Lescaut (série, 1 épisode, 1996)
Un enfant de trop (téléfilm, 1995)
Jour blanc (téléfilm, 1991)
Les Anges (1990)
Pour «Temps Présent» (documentaires, 1990-1994):
La Revanche d'Allah
La complainte du moscovite
La Croisade d'un Conseiller Fédéral
Brigade des Mœurs
Les renards de Kaboul
La Croatie ou la Mort
Le parcours de Noémie Kocher
Après avoir suivi le cours Florent à Paris (art dramatique), Noémie Kocher a joué dans de nombreuses pièces de théâtre, dont «La Ronde» (Isabelle Nanty) et «La guerre de Troie n'aura pas lieu» (Francis Huster). Elle a également participé à plusieurs longs métrages, téléfilms et séries.
Filmographie sélective:
Une Journée (actrice et scénariste, 2007)
Henry Dunant, du rouge sur la croix (téléfilm, 2005)
La Crim' (série, 2005)
Carla Rubens (série, 2005)
Amour branque (Pascal Voisine, 2003)
Julie Lescaut (série, 2002)
Aime ton père (Jacob Berger, 2002)
Les savates du Bon Dieu (Jean-Claude Brisseau, 2000)
Une femme très très amoureuse (Ariel Zeitoun, 1997)
La dame du jeu (Anna Brasi, 1995)