"La cancel culture, c'est détruire le libéralisme". "Non, la cancel culture n'existe pas". "Si, si, elle existe, mais ce n'est qu'une bande de riches célébrités qui pleurnichent quand les 'vrais gens' peuvent enfin leur répondre sur Twitter". Ou encore: "La cancel culture c'est le dernier recours d'une population sans autre voix que l'Internet". Ce n'est qu'un tout petit échantillon de ce que l'on entend quand on parle de la "cancel culture" ou "culture de l'annulation".
C'est quoi la "cancel culture" ?
C'est quand une personne - qu'elle soit célèbre, ou non - dit ou fait quelque chose de controversé et que le retour de bâton sur les médias sociaux est immédiat.
Pour pouvoir "annuler" quelqu'un, on demande à son réseau d'amis ou de followers (abonné.e.s) de nous soutenir, de partager nos arguments afin de créer une actualité qui sera reprise dans les médias. C'est donc l'idée de créer une foule. Surtout pas sentimentale.
Aux origines de la "cancel culture"
A l'origine, la "cancel culture" vient des États-Unis et divise profondément les militants et les sphères intellectuelles.
Elle s'est imposée ces dernières années en raison des conversations suscitées par le mouvement #MeToo. "Le terme a été attribué aux utilisateurs afro-américains de Twitter, où il a été utilisé comme hashtag", comme le précise sur son site le dictionnaire américain Merriam Webster.
Dès que l'on a des informations controversées sur des célébrités comme Michael Jackson ou Bill Cosby, on "annule" le "contrat" qui liait autrefois l'artiste à ses fans. C'est comme si on disait que si l'objet de notre désir et admiration ne remplit pas sa part de contrat, alors tant pis, je l'annule.
Mais pourquoi on "annule" ?
La raison de l'annulation peut varier, mais elle est généralement due au fait que la personne en question a exprimé une opinion répréhensible ou s'est conduite d'une manière inacceptable.
Comme Brutus et Cassius l'ont fait avec Jules César, HBO avec le film "Autant en emporte le vent" ou sur Twitter quand les internautes ont annulé une femme, Amy Cooper, promenant son chien à Central Park.
Le fait divers a fait grand bruit à New York, puisqu'elle a contacté la police en expliquant qu'elle était menacée par un homme noir. Ce dernier lui demandait tout simplement, sans agressivité, d'attacher son chien, comme le prévoit le règlement du parc.
L'histoire a mal fini pour Amy Cooper, elle a été licenciée pour racisme suite à la tempête que l'affaire a suscitée sur les réseaux sociaux.
C'est le cas de Christophe Girard, conseiller de Paris, qui, mis sous pression, a démissionné de son poste d'adjoint à la Culture auprès de la maire de Paris, Anne Hidalgo, pour ses liens avec l'écrivain Gabriel Matzneff. Dans une interview à France Inter, il nomme directement la "cancel culture".
Phénomène exacerbé par les réseaux sociaux
La question de savoir si la sanction publique correspond à l'acte qui l'a déclenchée est un sujet à débat. La "cancel culture" connaît un succès croissant principalement sur les réseaux sociaux, car avec les réseaux sociaux il y a un effet boule de neige: la caisse de résonance est ainsi beaucoup plus grande. Mais critiquer publiquement une personne en raison de ses actes ou propos n'a rien de nouveau.
En Suisse, dans les années 1970, le mouvement des femmes avait fait circuler une liste de gynécologues, selon elles, violents envers les patientes et exigeaient une action concrète.
La "cancel culture", bénéfique ou nocive?
La nature de cette pratique est compliquée, il n'y a pas de réponse toute faite. Il ne s'agit pas seulement de technologie ou d'idéologie, il s'agit des deux. D'un côté, il y a ceux qui la critiquent et qui estiment que le processus étouffe la liberté d'expression, empêche l'échange d'idées, et met en danger le débat démocratique.
>> Lire aussi : La "cancel culture" est-elle une menace pour le débat public?
Dans une vidéo d'une heure et quarante minute l’Américaine Natalie Wynn - youtubeuse transgenre devenue star grâce à ses analyses philosophique pointues sur sa chaîne Youtube ContraPoints - publiait une analyse pertinente et subtile consacrée aux mécanismes de la "cancel culture".
Elle y raconte notamment l’affaire James Charles, un youtubeur américain accusé d’être un prédateur sexuel, ainsi que sa propre expérience de personne "annulée".
Et il y a ceux qui affirment qu'elle a permis aux gens de remettre en question le statu quo et d'exiger des comptes de la part de ceux qui sont en position de pouvoir ou de richesse.
Mais avec des causes légitimes se pose la question des moyens légitimes. Comment la "cancel culture" va-t-elle réussir à dénoncer le racisme, le sexisme ou l'homophobie tout en évitant cette forme de "justice sociale" qui vire souvent au cyber-harcèlement ?
Une culture qui connaît un effet paradoxal: en "annulant" une personne, on met en avant quelqu'un... que l'on ne veut plus voir.
Miruna Coca-Cozma/ld