Les trois universités ont pour but de poser un regard croisé sur
les lettres alémaniques, romandes et tessinoises, voire romanches
par la suite, sans pour autant constituer artificiellement un objet
d'étude.
Car dans un pays plurilingue, la barrière de la langue est de
taille. En Suisse, un francophone ayant étudié la littérature dans
sa langue n'aura certainement jamais ouvert "Henri Le Vert" ("Der
grüne Heinrich"), qui est pourtant un classique de la littérature
helvétique. De même, il est peu probable qu'un germaniste ait
rencontré l'oeuvre de Nicolas Bouvier au cours de ses études en
Suisse. Les trois unis vont tenter d'atténuer cette méconnaissance
et de stimuler la recherche.
Mythe de la littérature suisse
Parler des littératures suisses et non de la littérature suisse
est assurément plus juste. "Nous ne voulons pas partir d'un point
commun, la littérature suisse (qui probablement n'existe pas) mais
plutôt nous rencontrer dans la diversité", explique Peter Utz,
professeur de littérature allemande à l'Université de Lausanne et
responsable du master en littératures suisses.
Lieux de résonance des littératures allemandes, française et
italienne, les littératures helvétiques sont un miroir où se
reflètent à la fois l'histoire et la culture de la Suisse et celle
de l'Europe. A ce titre, elles constituent un laboratoire riche en
enseignements, affirme Peter Utz.
Unification en cas de crise
"Ce n'est qu'en cas de crise qu'émerge un discours qui promeut
l'existence d'une littérature suisse unifiée", note Peter Utz. Et
de citer l'entre-deux-guerres, la Suisse étant alors entourée de
puissances potentiellement menaçantes. Ambassadrice de l'unité
nationale, la littérature a aussi été une source de remise en
question des mythes nationaux.
"Au XVIIIe siècle, alors que se crée le mythe de l'idylle
alpestre, très rapidement, la littérature interroge ce mythe. Ceci
aussi parce que la littérature suisse a toujours été en contact
avec les littératures des pays voisins", explique Peter Utz.
Extension outre-Sarine?
Pour lui, ce rapport ambivalent aux cultures de référence,
combiné à leur double appartenance, linguistique et territoriale,
fait des écrivains suisses des passeurs de culture comme l'ont été
Ludwig Hohl. Glaronnais de naissance, il a vécu jusqu'à sa mort à
Genève, Adrien Pasquali qui se disait "Italien de langue
française", ou encore Friedrich Dürrenmatt, Bernois établi à
Neuchâtel.
Exclusivement romand pour l'instant, le réseau mis en place pour
l'étude des littératures suisses ne demande qu'à s'élargir aux
universités des autres régions linguistiques, souligne Peter Utz.
S'il se méfie du discours selon lequel la Suisse pourrait être un
modèle pour l'Europe, il estime que son plurilinguisme est un atout
qu'il ne faut pas galvauder.
swissinfo/boi
Idylle et catastrophe
Le master en littératures suisses est fondé sur une thématique-cadre, qui variera chaque année.
La première est "Idylle et catastrophe, deux démons helvétiques".
Comme le relève Peter Utz, l'imagerie idyllique de la Suisse a contribué à l'unir, mais les récits de catastrophes ont pu jouer un rôle comparable au XIXe siècle en participant à l'élaboration d'une culture de solidarité.
Au XXe siècle, le thème de la catastrophe se retrouve aussi bien chez Ramuz que chez Dürrenmatt, mais c'est alors la décomposition de la communauté qu'il sert à évoquer.
C'est la rentrée
La rentrée universitaire a eu lieu mi-septembre en Suisse. L'Université de Genève a enregistré près de 14'000 immatriculations. Celle de Lausanne a franchi le cap des 11'000 étudiants. Fribourg en dénombre 10'000, Neuchâtel près de 4000.
En Suisse allemande, Bâle compte environ 11'000 étudiants, Zurich près de 24'000. A Berne, les cours reprennent cette semaine.
La tendance est à la hausse des effectifs, notamment à Lausanne et Neuchâtel, et à la mise en place de masters spécialisés, tels par exemple celui en environnement à l'Université de Genève ou celui en ressources humaines proposé par Genève, Lausanne et Neuchâtel.