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"Foutons la paix aux filles, laissez-les s'habiller comme elles ont envie"

Leïla Slimani : "Foutons la paix aux filles... laissons-les s'habiller comme elles en ont envie"
Leïla Slimani : "Foutons la paix aux filles... laissons-les s'habiller comme elles en ont envie" / 19h30 / 6 min. / le 30 septembre 2020
Depuis plusieurs jours, la polémique enfle à Genève et ailleurs autour de l'affaire des "t-shirts de la honte". En France aussi, la rentrée a été marquée par des mouvements autour des tenues des jeunes filles à l'école. L'autrice franco-marocaine Leïla Slimani salue un mouvement de libération positif.

Après les révélations du Courrier autour du cycle d'orientation de Pinchat, à Genève, qui forçait de jeunes élèves à porter un t-shirt stigmatisant lorsque leurs tenues étaient jugées "indécentes", de nombreuses adolescentes romandes ont témoigné des pratiques sexistes subies au sein de leurs établissements scolaires. Mercredi matin, des élèves se sont rassemblés devant l'établissement du Pinchat pour protester contre les règles vestimentaires imposées dans certaines écoles, jugées "humiliantes".

>> Lire également : Rassemblement pour protester contre le "t-shirt de la honte" à Genève

>> Voir le sujet du 19h30 :

Le mouvement de protestation contre les injonctions vestimentaires faites aux filles dépasse les frontières et s'envenime
Le mouvement de protestation contre les injonctions vestimentaires faites aux filles dépasse les frontières et s'envenime / 19h30 / 2 min. / le 30 septembre 2020

Cette polémique suisse fait écho à la situation que connaît la France depuis mi-septembre, où les débats autour des codes vestimentaires et de la "tenue républicaine" n'en finissent plus. Les lycéennes françaises en ont fait leur nouveau combat (Lire encadré).

Ainsi, en France comme en Suisse, on sent le débat houleux et crispé autour de cette question culturelle et générationnelle. Invitée du 19h30 de la RTS mercredi, l'autrice et journaliste Leïla Slimani refuse toutefois de qualifier ces mouvements de "crise". "Ça donne une vision négative de la chose", estime-t-elle, "alors qu'au contraire c'est un mouvement de libération de la part des jeunes femmes. Elles ont envie de se débarrasser du regard très sexuel qui est porté sur elles".

Se concentrer davantage sur l'éducation des garçons

À 39 ans, la jeune lauréate du prix Goncourt 2016 est une femme engagée qui n'a pas peur de le faire savoir. Le 20 septembre, réagissant sur un plateau TV face à des députés de droite qui avaient quitté une salle de travail trois jours plus tôt en signe de protestation face à une syndicaliste étudiante portant le voile, elle qualifie sans appel leur geste de "lamentable, indigne et déloyal". "On ne m'avait pas dit que la démocratie, c'est humilier les gens", poursuivait-elle alors.

Ça fait des siècles que ce sont des hommes qui définissent la décence, peut-être que c'est maintenant à notre tour.

Leïla Slimani

Interrogée sur la polémique autour des règlements scolaires, elle concède que la question des vêtements a bel et bien trait à la sexualité. "Mais au lieu de passer son temps  à expliquer aux filles qu'elles ne doivent pas mettre certains vêtements, peut-être qu'il faut expliquer aux garçons qu'une minijupe n'est pas une invitation au viol", rappelle-t-elle, ajoutant qu'il faudrait "se concentrer un peu plus sur les garçons et un peu moins sur les filles".

Reste la question de définir ce qu'est une tenue "décente" à l'école. Mais pour Leïla Slimani, "ça fait des siècles que ce sont des hommes qui définissent la décence, peut-être que c'est maintenant notre tour, et que les femmes n'en ont pas la même vision". Et de conclure: "Foutons la paix aux filles, nous ne sommes pas l'Iran, on n'est pas là pour décider de comment s'habillent les femmes."

Propos recueillis par Philippe Revaz

Texte web: Pierrik Jordan

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"On est surdéterminés par les identités"

Écrivaine à succès, Leïla Slimani a vendu des millions de livres dans le monde, si bien qu'on lui a même proposé en 2017 de devenir ministre de la Culture. Une proposition qu'elle a déclinée, bien qu'elle ait pris depuis une place importante dans le débat public en France.

La sortie en mars dernier de son nouveau livre a encore renforcé sa notoriété, d'autant que "Le pays des autres" parle beaucoup d'identité, un sujet brûlant dans l'espace public en France. Mais pas seulement, estime Leïla Slimani, "on a l'impression d'une crise d'identité dans de nombreuses démocraties occidentales, des pays multiculturels et traversés par des revendications multiples" et pour lesquels il est aujourd'hui difficile de "faire un projet de société dans lequel tout le monde peut se reconnaître".

"Le problème des identités aujourd'hui, c'est qu'on est surdéterminés par elles", analyse la romancière, "on veut absolument avoir une identité, mais moi je suis pas persuadée qu'il faille être obsédé par ça. Le plus important, c'est pas de savoir qui on est, mais c'est de se déterminer par ses actes, de savoir ce en quoi on croit, et non par des grands slogans et des étiquettes qui ne veulent pas dire grand-chose".

Polémique en France

Le 14 septembre dernier, un appel est lancé par des élèves sur les réseaux sociaux pour protester contre l’application de règlements qu’elles jugent sexistes. Une semaine plus tard, le ministre français de l'Éducation Jean-Michel Blanquer évoquait dans une interview qu'il était "une question de bon sens" de venir à l'école "habillé d'une façon républicaine", évoquant également un "enjeu d'égalité sociale et de protection des filles et des garçons".

Et la polémique a encore été ravivée mardi, après la publication par le magazine Marianne d'un sondage de l'Ifop, le principal institut de sondage français, qui invitait un panel à se prononcer sur l'autorisation ou l'interdiction de quatre type de tenues féminines, notamment le "no bra", défini comme un "haut sans soutien-gorge au travers duquel la pointe de ses tétons est visible" ou encore le "crop-top" ("tee-shirt laissant apparaître le nombril"). Les questions étaient par ailleurs accompagnées par l'illustration caricaturale d'une poitrine plantureuse. Ce sondage a suscité un tollé sur twitter notamment.