Auteur pour l'essentiel de courtes BD et de dessins d'humour quasi muets, il combinait un sens aigu de l'absurde et la finesse politique des grands dessinateurs d'actualité. Des qualités qu'il aura particulièrement fait valoir à travers le personnage de l'irrévérencieuse Mafalda.
Petite fille espiègle à la grosse tignasse noire qui déteste la soupe, l'injustice et la guerre, Mafalda est la fille d'une femme au foyer et d'un agent d'assurances argentins totalement dépassés par sa maturité. Parmi sa bande de copains, le capitaliste Manolito, l'anarchiste Miguelito ou la rétrograde Susanita, elle est la seule à refuser le monde tel qu'il est présenté.
À travers les demandes d'explication de son personnage sur la condition féminine, la dictature, la surpopulation, la guerre atomique ou encore Fidel Castro, Quino exprimait son indignation constante contre le monde des années 60.
Un déclic venu de son épouse
Ce fils d'Andalous, né le 17 juillet 1932 au pied des Andes dans la région de Mendoza, en Argentine, s'inscrit dès 13 ans à l'école des Beaux Arts de Mendoza. Mais quatre ans plus tard, "lassé de dessiner des amphores et des plâtres", il arrête ses études pour devenir illustrateur d'humour. Et c'est en 1954 qu'il connaît le "jour le plus heureux de sa vie" lorsque l'hebdomadaire argentin "Esto Es" publie sa première page.
"Tu as de bonnes idées mais tu dessines comme un cochon", lui disait alors dessinateur Garaycochea, avant qu'un autre dessinateur, Divito, ne vienne le corriger. "Je dessinais sans ombres, tout en ligne claire. Divito disait qu'il ne fallait pas laisser autant de blanc, que les lecteurs voulaient en avoir pour leur argent. Puis il m'a demandé de lui apporter des dessins avec du texte".
En 1963 paraît son premier livre "Mundo Quino". La même année, il travaille pour une campagne de publicité qui recherche un personnage "entre Blondie et Peanuts" pour un appareil ménager. La campagne n'a jamais vu le jour, mais le personnage de Mafalda était né. Et c'est en septembre 1964, sous l'impulsion de l'épouse du dessinateur Alicia Colombo, que la petite fille sort d'un tiroir pour être publiée par l'hebdomadaire "Primera Plana" de Buenos Aires. "Ma femme a été l'élément-clé dans la reconnaissance de Mafalda", avait-il assuré en 2014 lors de la remise du Prix Princes des Asturies.
Succès mondial
Très vite, sa popularité dépasse les frontières de l'Argentine puis de l'Amérique latine et gagne l'Europe. Mais à sa sortie en Espagne, sous le régime franquiste, Mafalda est réservée aux adultes, tandis qu'elle est censurée en Bolivie, au Chili et au Brésil.
"En Argentine, j'ai dû m'autocensurer parce qu'au début on m'a clairement demandé "pas de militaire, pas de religieux, pas de sexe". Et du coup, je me suis mis à parler de tout ça mais d'une autre manière", racontait Quino.
Même s'il n'a jamais renié la popularité de Mafalda, Quino n'y est pas plus attaché que cela. Le 25 juin 1973, il décide subitement d'arrêter sa série par peur de "trop se répéter". "On s'est alors mis à me traiter comme si j'étais un assassin!", confiait-il, "agréablement surpris" par ce succès. Il s'était ensuite remis à dessiner des "Monsieur-tout-le-monde" interchangeables, médiocres et à la stupidité universelle.
Atteint de problèmes de vue, il a définitivement posé son crayon en 2006. Il avait fait l'une de ses dernières apparitions publiques en janvier 2015, après l'attentat contre Charlie Hebdo. Proche du dessinateur Wolinski, tué lors de l'attaque, il avait déclaré que "Mafalda aurait ressenti une peine terrible".
ats/jop