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A Nuremberg, préserver les bâtiments nazis pour mettre en garde

Les enfants de Buchenwald - Une action humanitaire suisse. [RTS]
Les enfants de Buchenwald - Une action humanitaire suisse / Histoire vivante / 50 min. / le 8 novembre 2020
Après deux décennies de débats parfois houleux, dans une Allemagne confrontée à une résurgence de l'antisémitisme et où le devoir de mémoire est contesté par l'extrême droite, la ville de Nuremberg a finalement pris le parti de la réhabilitation.

Le débat est récurrent en Allemagne: faut-il préserver les édifices nazis, purs symboles de l'idéologie hitlérienne? La ville de Nuremberg a choisi de lancer un projet de conservation pour cultiver le devoir de mémoire et de mise en garde. Avec 85 millions d'euros, le site sera réhabilité dans les années à venir afin de sécuriser les bâtiments abîmés par le temps et raconter leur histoire honteuse.

"C'est d'ici que tout est parti: la destruction, l'exclusion et au bout du compte la Shoah", qui a coûté la vie à 6 millions de Juifs, déclare Julia Lehner, responsable de la culture de la ville bavaroise sur le site du congrès du parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP).

Monuments pour fasciner et intimider

De la tribune Zeppelin inspirée du temple hellénique de Pergame, Adolf Hitler a déclamé de 1933 à 1938 ses discours racistes face à un demi-million de membres du parti réunis une fois par an et autant d'Allemands enthousiastes venus de tout le pays assister aux parades.

A proximité, un autre colosse aux allures de Colisée romain: le palais des congrès. Jamais terminé, il est le deuxième plus grand bâtiment nazi en Allemagne, après le complexe de loisirs de Prora sur l'île de Rügen.

Cette "monumentalité" visait à "intimider et à fasciner", rappelle l'historien Wolfgang Benz, "à démontrer la supériorité de l'idéologie nazie".

Le site, conçu en grande partie par l'architecte Albert Speer sur 11 km2, incarne "les persécuteurs", souligne Julia Lehner, rappelant qu'Hitler avait choisi Nuremberg comme centre de sa propagande. C'est là que les lois anti-juives furent promulguées en 1935.

Hauts gradés et dirigeants nazis dont Joseph Goebbels (au centre) et l'architecte du Reich Albert Speer (avec le brassard à croix gammée) à Peenemünde, en août 1943. [Das Bundesarchiv]
Hauts gradés et dirigeants nazis dont Joseph Goebbels (au centre) et l'architecte du Reich Albert Speer (avec le brassard à croix gammée) à Peenemünde, en août 1943. [Das Bundesarchiv]

C'est pourquoi les Alliés y ont jugé, à partir de novembre 1945, les dirigeants du régime lors d'un procès historique dont l'Allemagne commémore le 75e anniversaire cette année. L'héritage pèse depuis longtemps sur la ville. "Dans l'immédiat après-guerre, on aurait préféré le recouvrir du voile de l'oubli", reconnaît l'élue.

"Le conflit est toujours le même: est-ce qu'un édifice peut devenir un lieu de culte pour des néonazis? Si la réponse est oui, alors il faut le détruire", déclare Wolfgang Benz, comme cela a été le cas du bunker d'Hitler à Berlin.

>> A écouter et regarder, Albert Speer, l'architexte du IIIe Reich au micro de la télévision suisse romande :

Sabra et Chatila - "Téléjournal" (1982)
Albert Speer, ancien ministre du 3ème Reich / 50 ans de la TSR / 3 min. / le 5 juin 2004

Site classé en 1973

Nuremberg a attiré occasionnellement des nostalgiques du 3e Reich. Il y a un an, une poignée d'entre eux ont organisé une marche contre l'accueil de migrants. Mais les incidents sont rares, indique la ville.

Après la guerre, seule l'immense croix gammée surplombant la tribune fut dynamitée par les Américains. Et en 1973, le site fut classé aux monuments historiques par les autorités bavaroises, avec le devoir pour la ville de le préserver pour informer les générations futures. Une bonne décision, juge Florian Dierl, directeur du centre de documentation qui présente l'exposition "Fascination et Violence" installée sur le site depuis 1984.

Nuremberg en ruines le 20 avril 1945. [Leemage via AFP - Usis-Dite/Leemage]
Nuremberg en ruines le 20 avril 1945. [Leemage via AFP - Usis-Dite/Leemage]

Bob Dylan en concert en 1978

Car le devoir de mémoire sur l'époque nazi implique de comprendre pourquoi "les Allemands sont restés fidèles au régime toutes ces années", dit-il.

En venant ici, on peut se faire une idée sur le pouvoir d'attraction qu'a exercé l'idée d'une communauté nationale-socialiste sur la population.

Florian Dierl, directeur du centre de documentation qui présente l'exposition "Fascination et Violence" installée sur le site depuis 1984.

Après la guerre, la plupart des bâtiments nazis furent réutilisés, souvent par nécessité, tels l'aéroport de Tempelhof ou le ministère de l'aviation du Reich d'Hermann Göring, qui abrite aujourd'hui le ministère des Finances, à Berlin.

A Nuremberg, le champ Zeppelin et ses gradins encerclés de 34 tours, face à la tribune, fut longtemps utilisé comme terrain de sport par les soldats américains, puis s'est ouvert à la musique. En 1978, Bob Dylan y a donné un concert.

Le champ Zeppelin et son temple d'inspiration hellénique à Nuremberg. [AFP - CHRISTOF STACHE]
Le champ Zeppelin et son temple d'inspiration hellénique à Nuremberg. [AFP - CHRISTOF STACHE]

Faire parler les pierres

Aujourd'hui, les vestiges sont dégradés, en partie interdits d'accès en raison des risques d'éboulement. Le palais est fermé au public. Son rez-de-chaussée sert d'entrepôt pour les cabanons du marché de Noël, une annexe accueille l'orchestre philharmonique, le centre de documentation s'est greffé en 2001 à l'une de ses extrémités.

Après deux décennies de débats parfois houleux, dans une Allemagne confrontée à une résurgence de l'antisémitisme et où le devoir de mémoire est contesté par l'extrême droite, la ville a donc finalement pris le parti de la réhabilitation. En dépit des opposants au projet qui auraient préféré voir l'argent investi dans la construction de logements par exemple.

 Les travaux seront financés par la ville, la Bavière et l'Etat fédéral. La somme servira essentiellement à sécuriser les édifices. Le champ, qui avant l'ère nazie était un lieu de pique-nique prisé, sera aménagé en espace de détente où des panneaux informeront sur la signification de chaque bâtiment. Le centre de documentation érigé en 2001, qui accueille 300'000 visiteurs par an, sera agrandi.

Le 22 avril 1945, dans le stade de la ville, le général Alexander Patch se tient à la tribune où se tenait Hitler. [AFP - Usis-Dite/Leemage]
Le 22 avril 1945, dans le stade de la ville, le général Alexander Patch se tient à la tribune où se tenait Hitler. [AFP - Usis-Dite/Leemage]

Approbation de la communauté juive

La communauté juive locale approuve le projet. Il s'agit "d'une bonne base pour montrer aux gens du monde entier et aux jeunes (...) quelle idéologie totalitaire ces bâtiments ont incarnée", dit son président Jo-Achim Hamburger.

Car les géants de pierre nazis ont leur rôle de mise en garde à jouer. "Si on détruit cette histoire, on perdra peut-être une possibilité de rendre vraiment visibles les dangers du totalitarisme". En 2014, le survivant de l'holocauste Leon Weintraub, en visite à Nuremberg, avait plaidé avec force pour sa conservation.

Je ressens une satisfaction particulière à me tenir face à cette expression de mégalomanie. Je ne me sens pas comme une victime, mais comme un vainqueur.

Leon Weintraub, survivant de l'holocauste, en 2014.

afp/mcm

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