La saison 4 de "The Crown" critiquée pour ses entorses à l'Histoire
La quatrième saison de la série "The Crown" raconte le quotidien de la famille royale entre 1979 et 1990. Mais beaucoup lui reprochent de déformer une réalité encore récente.
C’était la série n°1 sur Netflix cette semaine en Suisse. "The Crown" nous ouvre les portes de Buckingham Palace et livre l'histoire de la reine Elisabeth II. Décors grandioses, costumes d'époques et jeu d'acteurs bluffant: on s'y croirait! Mais il ne s'agit pas d'un documentaire, mais bien d'une fiction inspirée de la réalité.
Jusqu'à présent, le biopic était bien accepté par les observateurs de la famille royale. Mais la saison 4 a provoqué une vive réaction. Les tabloïds et les proches de la royauté s'indignent des portraits tirés par la série. L'édito du Guardian va jusqu'à la comparer à des fake news.
Conversations inventées
La quatrième saison revient sur la relation tumultueuse entre le Prince Charles et Diana Spencer. Un couple qui avait défrayé la chronique dès les années 1980, entamant la réputation de la famille royale.
Certaines scènes ont pu être reconstituées à l’identique, grâce à des archives. Une attention particulière a été mise sur la garde-robe de la Princesse Diana.
Mais la saison 4 regorge de huis clos. Or, il est impossible de connaître la teneur des conversations privées originales, car la famille royale reste très discrète à ce sujet. Les voix critiques reprochent aux scénaristes d'avoir imaginé des scènes qui ne correspondent pas à la personnalité des royaux.
>> A voir aussi : En 2013 déjà, un biopic sur la vie de Diana Spencer faisait déjà scandale
Pour Mireille Berton, maître d'enseignement en histoire et esthétique du cinéma à l'Université de Lausanne, cette opacité a forcé le réalisateur Peter Morgan à prendre un parti: "La série prend le point de vue de Diana, car c'est elle qui a livré sa version de l'histoire alors que Charles est resté silencieux".
Résultat: le Prince Charles apparaît colérique et égocentrique, alors que la princesse est présentée comme une victime de la famille Windsor. Une version simpliste de la réalité dénoncée par les observateurs de la royauté.
Mauvaise image du Prince Charles
Les conséquences sont réelles sur la réputation du Prince Charles et de Camilla Shand, son épouse actuelle. Le couple a dû fermer les commentaires de son compte Twitter face à l'afflux de messages haineux.
Didier Dana, responsable de la rubrique Personnalités à l'Illustré, réagit: "Nous sommes dans une époque où l'image est prépondérante. Cette image animée avec une mise en scène colle terriblement au réel. Mais ce n'est pas le réel!" Le journaliste estime qu'il faudrait signaler clairement au début de chaque épisode qu'il s'agit d'une fiction, comme le demande d'ailleurs le ministre britannique de la Culture (lire encadré).
La famille royale reste muette face à la polémique. La série s’arrêtera au début des années 2000, pour que la fiction ne dépasse pas la réalité.
Sujet TV et web: Anouk Pernet
Archives: Olivia Wermus, Laure Testuz & Evelyne Gonzalez
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Le ministre britannique de la Culture réagit
Le ministre britannique de la Culture, Oliver Dowden, a estimé dimanche que Netflix devrait clairement indiquer que "The Crown" est une fiction. Il estime que le public risque de se méprendre. Selon le Mail on Sunday, qui milite en ce sens, le ministre va formellement demander au géant américain de la vidéo en ligne d'introduire un avertissement au début de chaque épisode pour expliquer que l'intrigue est romancée.
"C'est une magnifique oeuvre de fiction, mais comme d'autres productions TV, Netflix devrait être très clair dès le début que ce n'est que ça", a déclaré Oliver Dowden au journal. "Sans cela, je crains qu'une génération de téléspectateurs qui n'ont pas connu ces événements prennent la fiction pour la réalité".
Les déclarations du ministre de la Culture font écho à de récentes déclarations du frère de Lady Di, Charles Spencer, plaidant pour un avertissement au début de chaque épisode. Joint par le Mail on Sunday, Netflix s'est refusé à tout commentaire.
Peut-on fictionnaliser l'histoire récente?
De plus en plus de séries historiques traitent de faits récents. Certains protagonistes sont toujours vivants, et peuvent mal vivre la réinterprétation de leur vécu.
Selon l'historienne Mireille Berton, les créateurs de séries doivent mesurer l'impact de leurs oeuvres. Elle cite l'exemple de Narcos, qui raconte l’histoire du baron de la drogue Pablo Escobar. "La série brosse un portrait positif et charismatique d'Escobar. Ca peut léser les descendants des victimes qui tentent encore aujourd'hui de combattre pour la justice."
L'experte souligne que l'idéal de vérité est impossible à atteindre, dans les séries tout comme dans la construction de l'Histoire. "L'écriture historique consiste à construire un récit à partir de sources lacunaires et d'interprétations contradictoires. Donc à partir du moment qu'une série permet de réfléchir à ces questions, c'est une série réussie."