«Quincy Jones est le dernier survivant, compositeur de jazz, de
pop, de hip-hop, de musique de film, il a touché à tout avec un
génie incomparable», nous disait Claude Nobs, fondateur et
directeur du festival, il y a peu. Les artistes qui ont participé
au gala, interrogés par tsr.ch , ne tarissent pas non plus d'éloges.
Et le musicien suisse alémanique Pepe Lienhard, nommé directeur
musical de la soirée, ajoutait: «Quincy Jones, c'est l'influence la
plus importante de ma vie (...) Jouer à Montreux pour Quincy Jones,
pour moi, c'est 'a dream come true', un rêve qui devient réalité.
Et c'est aussi un honneur.»
C'est d'ailleurs Pepe Lienhard qui ouvre la soirée à la tête du
«Swiss Army Big Band», cela ne s'invente pas. Un 1er set qui leur
est entièrement consacré et qui démontre que si l'armée suisse fait
parfois sourire, sur un plan musical en tout cas, elle n'a rien à
envier aux Etats-Unis... Ses seize cuivres, aussi énergiques que
millimétrés, décoiffent allégrement.
«Quincy's 75th Celebration»
Pour les deux sets suivants, au «Swiss Army Big Band» va
s'ajouter un groupe créé pour l'occasion, le «Montreux In The House
Band», conduit par le pianiste Greg Phillinganes, avec notamment
Nathan East à la basse et Paul Jackson jr. à la guitare.
Autant dire qu'il y a du monde pour assurer le suivi des voix qui
vont défiler au cours de la soirée. Peut-être devrait-on dire
«nuit». «Tu as prévu quelque chose pour le petit déjeuner?», a
demandé Quincy Jones à Claude Nobs au vu du programme.
Près de 50 chanteurs, solistes et musiciens. Une trentaine de
morceaux interprétés. Comment résumer cela? Par des images,
peut-être...
Rolls-Royce climatisée
L'impression de rouler en Rolls-Royce
climatisée dans le désert du Nevada, non loin de Las Vegas. Ou de
fouler une épaisse moquette dans un palace clinquant de New York.
Ou de participer à «La croisière s'amuse», pour reprendre
l'expression un peu goguenarde d'une connaissance ? par ailleurs
collaborateur du Montreux Jazz Festival.
C'est flou? Alors citons plutôt quelques temps forts. Ce début de
concert avec un arrangement drôle et jazzy de «The good, the bad
and the ugly» d'Ennio Morricone. La magnifique interprétation par
Mick Hucknall (ex Simply Red) de «In The Heat Of The Night», film
splendide de Norma Jewison avec Sydney Poitiers, chanté à l'origine
par Ray Charles. La remarquable Patti Austin chantant «How Do You
Keep the Music Playing».
Et quelques moments pénibles aussi: le trémolo de Nana Mouskouri
est résolument incompatible avec «Smoke Gets In Your Eyes». Et Al
Jarreau fera toujours du Al Jarreau. Mais ça, c'est personnel, me
direz-vous à juste titre.
Bouffées d'air
Soli virtuoses (le piano de Herbie Hancock! La trompette de
James Morrison! La batterie de Billy Cobham!), swing imparable,
déluge de section de cuivres, changement de rythmes
époustouflants... Mais quoi qu'il en soit, il faut avoir un solide
appétit pour ne pas caler face au gigantesque menu concocté par le
cuistot en chef Claude Nobs.
Surtout lorsqu'on a été biberonné à la musique des 60's et 70's,
celle qui, justement, a donné un grand coup de balai aux
orchestrations hypertrophiées des grands orchestres
clinquants...
Alors, ce sont les approches les plus dépouillées qui soudain
accrochent le spectateur: l'incroyable prestation du groupe
«Naturally 7», des voix en guise d'orchestre - même Quincy se lève
et applaudit à tout rompre. Chaka Kahn et Patti Austin, encore
elle, unissant leurs voix pour chanter «Sister». L'harmonica
intimiste du vieux Toots Thielmann, magnifique, ou la sobre
intensité du chanteur Curtis Stigers.
Et puis l'arrivée de la panthère Angélique Kidjo, qui soudain
glisse un peu de terre africaine sous les roues des rutilantes
Américaines...
swissinfo, Bernard Léchot à Montreux
Quincy Jones, un producteur hors pair
Né Quincy Delight Jones, il a vu le jour le 14 mars 1933 à Chicago. Il connaît la pauvreté durant son enfance et accompagne son père quand celui-ci s'installe à Seattle.
Le jeune Quincy apprend la musique puis intègre durant quatre ans l'orchestre de Lionel Hampton comme trompettiste et arrangeur. En 1956, Dizzy Gillespie le nomme directeur musical de son Big Band. Cette année-là paraît son premier disque.
Il s'installe à Paris en 1957 et devient arrangeur pour la maison de disques d'Eddie Barclay, ce qui lui vaut de travailler par exemple avec Henri Salvador.
Au début des années 60, retour aux Etats-Unis où il devient directeur musical du label Mercury. Il arrangera maints albums de jazzmen mais aussi de Barbra Streisand, de Frank Sinatra ou Tony Bennett.
Infatigable, il signe de nombreuses musiques de film et pour des séries télévisées, il enregistre plusieurs disques explorant divers genres musicaux.
Le triomphe des trois albums de Michael Jackson qu'il a produits lui vaut gloire et fortune.
Il a par exemple produit "Thriller", considéré comme l'album le plus vendu de l'histoire.
Quincy Jones a aussi marqué l'histoire du Festival de jazz de Montreux en étant co-producteur des éditions de 1991 à 1993.
Le pianiste et trompettiste a aussi dirigé un concert lors de l'édition 1996 et animé un atelier en 2007.
Soirée et prix des billets hors-normes
Quincy Jones s'est vu remettre un chèque de 50'000 dollars (50'800 francs) représentant le produit de la vente des billets pour la répétition du concert de lundi après-midi, ouverte au public, moyennant 60 francs la place.
Cette somme sera versée à la Fondation Quincy Jones qui soutient la formation de jeunes en difficulté.
En soirée, quelque 2800 personnes ont assisté à ce gala exceptionnel, pour un prix qui l'est tout autant: 160 francs pour les places debout, 300 et 380 francs pour les places assises.
Les festivaliers qui n'avaient pu se payer un ticket ont pu suivre gratuitement le concert sur grand écran au Montreux Jazz Café.