A quelle époque la Bible a-t-elle été écrite? Par qui? Dans quelles circonstances? Avec quel objectif? La découverte archéologique la plus importante du XXe siècle, celle des manuscrits de la mer Morte en 1947, permet de lever un peu le voile sur l'un des plus grands mystères de l'Histoire.
Mais ces manuscrits sont-ils les textes originels? Grâce à des techniques scientifiques de pointe, l'imagerie multispectrale, la recherche ADN et l'intelligence artificielle, les chercheurs peuvent désormais apporter certaines réponses. C'est ce que montre le documentaire "Qui a écrit la Bible? Le mystère révélé", de Nathalie Laville, à découvrir le 4 avril sur RTS2 ou à voir jusqu'au 3 juin 2021 sur Play RTS.
De livre révélé à livre contesté
Au XVe siècle, lorsque Gutenberg imprime la Bible, les autorités religieuses affirment que c'est Dieu lui-même qui a dicté les textes à des prophètes, à commencer par Moïse pour le Pentateuque, soit les cinq premiers rouleaux de l'Ancien Testament qui correspond à la Torah juive. En font partie, notamment, la Genèse et L'Exode.
A partir du XVIIe siècle, ce dogme est remis en question. Le philosophe Baruch Spinoza en 1670 en relève certaines incohérences, dont celle-ci: comment Moïse aurait-il pu faire le récit de sa propre mort?
La Bible ne revendiquant aucun auteur, alors comment le ou les identifier quand on n'en connaît que des copies successives, dont les plus anciennes remontent au Moyen Age?
Découverte archéologique majeure
Tout bascule en 1947 lorsqu'un jeune bédouin parti à la recherche de l'une de ses chèvres trouve dans une grotte de Qumram, dans le désert de Judée, de grandes jarres qui contiennent des rouleaux de cuir, enveloppés dans de la toile de lin. Aussitôt des recherches archéologiques se mettent en place, dirigées par le moine dominicain Roland de Vaux.
En dix ans, de 1947 à 1956, onze grottes sont explorées, révélant 87'000 fragments appartenant à 870 manuscrits, dont 220 de textes bibliques. Ils sont rédigés sur parchemin ou papyrus, en majorité écrits en hébreu, mais aussi en araméen et en grec. Ils couvrent quatre siècles, de 300 avant J.C à 100 ans après.
Pièce maîtresse de ces fouilles, le rouleau du prophète Isaïe, datant d'environ un siècle avant J-C. Il contient l'intégralité des 66 chapitres du Livre d'Isaïe et mesure plus de sept mètres de long. Il s'agit du manuscrit le mieux conservé et le plus complet du site de Qumram, et de l'un des plus anciens textes de la Bible hébraïque connus à ce jour.
Un puzzle à pièces multiples
Il faudra attendre cinquante ans pour reconstituer le puzzle de ces dizaines de milliers de fragments, ce qui a nourri de multiples thèses complotistes. "Mais c'était un travail de titan. Les fragments étaient parfois en très mauvais état, illisibles à l'oeil nu, et particulièrement délicats à manipuler", explique Pnina Shor, fondatrice de l'unité des manuscrits de la mer Morte.
Aujourd'hui, chaque miette a été identifiée, décryptée et traduite. Ces manuscrits sont consultables gratuitement sur le site de la Leon Levy Dead Sea Scrolls Digital Library. Mais cela ne répond toujours pas à la question: qui sont les auteurs?
Dans un premier temps, on a attribué ces textes aux Esséniens, une communauté juive qui a prospéré sur le site à partir du IIe siècle avant J.-C. et qui a disparu avec la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains en l'an 70 de notre ère.
Mais des recherches en ADN, sans démentir cette hypothèse, vont apporter une autre information.
Ces analyses montrent que le cuir des rouleaux provient de différents animaux, notamment de chèvres et de moutons. Or ces derniers ne pouvaient pas paître dans une région aussi désolée que le désert de Judée. Preuve qu'il ne s'agit pas seulement d'une production locale.
Une des explications serait que certains manuscrits ont été écrits et archivés sur place, à Qumram, tandis que d'autres auraient été précipitamment cachés dans des grottes naturelles lors de la Grande Révolte qui débute en 66.
Une technique venue de la NASA, l'imagerie multispectrale, va affiner la recherche en plongeant dans le détail des écritures. Ce système par longueur d'ondes permet de faire apparaître ce que l'oeil ne pouvait pas voir, signes de ponctuation, lettres effacées, bouts manquants, corrections dans les marges ou sur le texte lui-même. Et que constate-t-on?
Grâce à la science, la figure du copiste se précise. On découvre qu'il n'a pas seulement mission de transmettre et de copier mais aussi d'éditer, de retravailler, de corriger, de préciser et d'adapter en fonction des époques. Et en éditant, il devient aussi auteur.
Certains chercheurs vont jusqu'à affirmer qu'il n'y aurait pas une oeuvre originelle mais plusieurs. La preuve? "Il existe, par exemple, deux récits de la Création collés l'un à l'autre. Idem pour le Déluge et l'Arche de Noé. Ce sont deux traditions différentes mais que l'on ne peut pas dissocier, comme s'il s'agissait de deux textes à des stades de rédaction différente. Une pluralité textuelle qui tendrait à prouver qu'il n'y a pas un seul auteur d'un seul trait, mais plusieurs sur plusieurs siècles", explique Jean-Sébastien Rey, philologue et chercheur à l'Université de Lorraine qui a étudié différents fragments lettre par lettre.
L'algorithme de Dieu
Grâce au "deep learning" de l'intelligence artificielle, on peut aller plus loin dans l'investigation et savoir combien de mains ont travaillé sur un texte, en reconnaissant l'écriture propre à chacun des scribes. C'est le cas de l'Université de Lausanne qui a développé un outil mathématique qui permet d'optimiser les analyses paléographiques afin d'identifier, par exemple, différentes écoles religieuses ou de scribes.
Qui a commandité ces textes?
La Bible serait donc l'oeuvre des scribes qui l'ont écrite, fait vivre et voyager avant que le milieu des rabbins fixe le texte au 2e siècle après J.-C. Mais d'où viennent-ils ces textes? Il existe beaucoup de similitudes avec des traditions anciennes. Le récit de la Création et du déluge existe déjà dans les traditions mésopotamiennes, par exemple. La Bible serait ainsi le résultat d'un long processus d'agrégation, de l'assemblage de mythes et de légendes, de traditions orales et de fables, mais aussi de fait réels. "La Bible a été écrite en 1000 ans", dit Michael Langlois.
Mais qui a eu la volonté de tout rassembler? Qui a commandité ce travail? Pour l'archéologue israélien Israël Finkelstein, qui a travaillé quinze ans sur les fouilles de Megiddo à 90 kilomètres au nord de Jérusalem, c'est le roi Josias (640-609 av. J.-C), qui règne sur Juda, qui serait à l'origine de cette compilation, prémices de qui deviendra la Bible. Le monarque avait besoin d'un grand récit pour donner corps à son ambition: reconquérir une partie de son royaume. Et voilà comment, selon l'archéologue et d'autres experts avec lui, ce qui n'était qu'un texte de propagande est devenu le texte fondateur de l'identité culturelle d'un peuple en exil.
Marie-Claude Martin