Evoqué depuis plusieurs années, ce musée "du Chat et du dessin d’humour" - "un rêve qui se réalise" pour le dessinateur - n'avait pas soulevé de critiques jusque-là. Mais, alors que le permis d'urbanisme venait d'être accordé, des opposants ont adressé il y a une dizaine de jours une lettre ouverte au ministre-président de la région qui "met en doute la validité artistique d'une telle démarche" et qui, à travers le lancement d'une pétition, demande tout simplement l'abandon du projet.
De l'argent public investi
Pour bien comprendre les arguments avancés par les signataires qui se présentent comme des "Bruxellois et Bruxelloises profondément attachés à la vie culturelle de notre ville et pour la plupart d'entre nous, des actrices et acteurs du monde de l'art", il faut savoir que le futur "Le Chat cartoon museum" doit prendre la place d'un bâtiment abandonné, situé dans le quartier historique de Bruxelles, à quelques encablures de l'ex-Musée d'Art Moderne.
Une provocation pour les pétitionnaires, lorsque l'on sait qu'une rénovation du Musée d'Art Moderne piétine depuis plus de dix ans, faute d'investissements financiers et que de l'argent public va être investi dans le projet porté par la star belge. La région de Bruxelles prévoit en effet de mettre 10 millions de francs dans le gros œuvre. Philippe Geluck et ses sponsors apportent de leur côté plus de 8 millions.
"Ils se trompent de combat", estime Philippe Geluck interrogé dans Tout un monde, "car ce sont des portefeuilles différents: le Musée d'art dépend du gouvernement fédéral, alors que le musée du Chat relève de la région". Puis d'ajouter que son musée - qui sera ouvert à d'autres artistes en lien avec le dessin d'humour - va attirer des touristes à Bruxelles, et créer 23 emplois à temps plein au musée. "L'institution sera aux mains d'une association sans but lucratif", précise encore le dessinateur belge.
Pour quel retour sur investissement?
Mais y aura-t-il vraiment un retour sur investissement pour la capitale belge? D'autant que le cabinet du ministre-président de la région bruxelloise reconnaît qu'il n'y a eu aucune étude d'impact économique.
Interrogée par la RTS, Sandrine Morgante, l'une des principales initiatrices de la pétition, a son idée sur la question: "C'est un pari, un pari très risqué selon moi (...). Monsieur Geluck dit qu'il va y avoir un effet de ruissellement. Je trouve ça très méprisant de dire: 'à partir de moi, il va peut-être y avoir des gens qui vont peut-être aller dans les musées alentour'. Pourquoi ne pas valoriser les musées alentour?"
La BD, pas faite pour les musées?
Tout en dénonçant ce "détournement d'argent public", la pétition s'attaque aussi directement au Chat, personnage mi-débonnaire, mi-philosophe, comme sujet central d’un musée, mettant en avant la sempiternelle question sur la bande dessinée: neuvième art ou activité mineure?
Avec Le Chat, j'essaie d'apporter de la joie, et là, je me retrouve dans la souffrance et je ne comprends pas bien…
Pour les pétitionnaires, la réponse semble claire: "Ces personnages sont conçus pour exister dans les livres. Mis à part les planches originales, les objets exposés sont nécessairement des produits dérivés" peut-on lire dans la pétition. La commercialisation du Chat sous couvert de musée, voilà l’ennemi.
Geluck, prêt à abandonner
Mis en cause personnellement, Philippe Geluck, qui se dit "blessé par cette polémique", a déclaré le week-end dernier sur la chaîne de télévision RTL TVI lors d'un débat houleux face à ses détracteurs: "Si on trouve un meilleur usage au bâtiment, je vous le dis publiquement aujourd'hui, je me retire et j'abandonne ce projet avec humilité et avec respect pour tous les autres artistes". "Avec Le Chat, j'essaie d'apporter de la joie, et là, je me retrouve dans la souffrance et je ne comprends pas bien…", a encore indiqué le Belge.
Les fans lancent une contre-offensive
Depuis, les fans du Chat ont décidé de passer à l'action et ont lancé ce lundi une autre pétition qui, cette fois-ci, soutient le futur musée. Le Chat est y décrit comme "un des porte-drapeaux de la culture belge" et il serait selon eux, "impensable qu'il n'ait pas son musée au même titre que Hergé par exemple".
Samedi à la mi-journée, plus de 15'000 personnes avaient signé cette seconde pétition contre environ 5800 pour la première. En principe, les travaux commenceront le mois prochain. Sauf imprévu, le Chat rejoindra sa tanière bruxelloise fin 2024.
Sujet radio: Alain Franco
Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente