"Nous avons encerclé le 'Mein Kampf' de Hitler par les notes. Il ne peut pas bouger"
Fils d'un professeur d'allemand et d'une mère traductrice et critique littéraire, petit-fils d'un soldat tué par les Allemands, Olivier Mannoni a à son actif la traduction des plus grands auteurs de langue allemande, de Sigmund Freud à Stefan Zweig en passant par Franz Kafka.
La traduction de l'ouvrage d'Adolf Hitler a été un travail éprouvant pour lui, par la nature de ce livre où le Führer pose les bases de sa théorie politique et haineuse.
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Son travail s'est déroulé en deux phases: après une première traduction, il a travaillé avec une équipe d'historiens chargée de diriger la publication de l'ouvrage, dans une collaboration qu'il décrit comme "d'une richesse intellectuelle extraordinaire".
Un texte avec "la totalité de ses défauts, de ses aberrations, de ses lourdeurs"
"Les historiens m'ont demandé de faire le contraire de ce qu'on fait d'habitude quand on traduit, c'est-à-dire de rendre le texte avec la totalité de ses défauts, de ses aberrations, de ses lourdeurs, et tel que les Allemands l'ont lu en 1926 quand il est sorti", a-t-il expliqué mardi dans La Matinale de la RTS. "C'est un travail qui va précisément à l'inverse du travail normal d'un traducteur, mais qui était en l'occurrence absolument indispensable."
Pendant la traduction de "Mein Kampf", Olivier Mannoni a senti à un moment donné une "trouille phénoménale" monter en lui. "On a affaire à un livre sur lequel pèse une espèce d'aura dont on ne sait pas très bien si elle est magique ou maléfique, et c'est extrêmement dangereux", raconte le traducteur.
Démythifier le texte
Pour lui, il était essentiel de parvenir à déboulonner "Mein Kampf": "Il ne s'agit pas d'une espèce d'objet mythique auquel il faudrait vouer soit un culte, soit une horreur sainte qui empêche de le connaître. Il s'agit simplement d'un livre avec des idées, écrit par un homme politique, dans lequel se trouvent les germes de l'histoire allemande et européenne, les germes d'un certain nombre de crimes commis sur les handicapés mentaux, sur les juifs, les tziganes, les homosexuels. C'est pour cela qu'il fallait mener ce travail", insiste Olivier Mannoni.
Il ne s'agit pas d'une espèce d'objet mythique auquel il faudrait vouer soit un culte, soit une horreur sainte qui empêche de le connaître
A ceux qui l'accusent, avec l'éditeur Fayard, de faire la promotion involontaire d'un livre dangereux et haineux, il oppose la volonté posée dès le début du projet d'encadrer le texte, de montrer son propos réel, ses mensonges "qui sont innombrables" et ses implications politiques. "Ce dont on fait la promotion, c'est d'une réflexion sur l'histoire et sur ce livre. Le texte de Hitler est littéralement encerclé par les notes. Il ne peut pas bouger. A chaque fois qu'il y a un mensonge, un terme ambigu qui a évolué vers quelque chose de monstrueux, c'est signalé", détaille l'auteur de la traduction.
"Des abominations qu'il faut étudier"
De fait, un tiers du nouveau livre seulement, qui compte près de 1000 pages, est composé par le texte de base. Il est enserré dans des notes, des critiques historiques et scientifiques. En outre, le livre va coûter "une fortune" (100 euros en France) et sera offert aux bibliothèques universitaires.
"Republier 'Mein Kampf' tel quel n'a rigoureusement aucun intérêt. L'édition française existe depuis 1934. Celui qui a envie de lire ce texte aujourd'hui peut le lire, on le trouve sur internet en deux clics", constate du reste Olivier Mannoni, pour qui il ne s'agissait pas simplement de faire une nouvelle traduction de ce texte.
Republier Mein Kampf tel quel n'a rigoureusement aucun intérêt. Nous en avons fait une republication qui le désactive et montre que ses idées, dont une partie est encore active aujourd'hui, peuvent mener à des catastrophes abominables
"Nous en avons fait une republication qui le désactive et montre que ses idées, dont une partie est encore active aujourd'hui, sont extrêmement dangereuses et peuvent mener à des catastrophes abominables. C'est un texte qui contient des abominations, qu'il faut étudier et comprendre pour en tirer des leçons."
Propos recueillis par David Berger
Adaptation web: Vincent Cherpillod
Un "fact-checking" du livre d'origine?
Plus qu'une nouvelle traduction, "Historiciser le mal" constitue une sorte de "fact-checking" du livre publié par Adolf Hitler à l'Entre-deux-guerres. Ou plutôt "simplement un travail d'historien", comme le corrige Olivier Mannoni. "C'est leur métier de vérifier les faits, la réalité de ce qui est affirmé, mais aussi de déceler, dans un texte écrit, les courants qui ont porté l'écriture vers des réalités historiques", souligne le traducteur.
Alors que certains hommes politiques se plaisent à insister sur l'origine étrangère de la pandémie de Covid-19, qui a mis à mal l'ouverture des frontières entre les différents Etats, plusieurs éléments de la théorie développée par Hitler dans "Mein Kampf" résonnent particulièrement aujourd'hui.
L'obsession de la contamination par l'autre
"Il y a en effet chez Hitler une obsession de la bactérie, de la contamination par l'autre. Il y a une haine de l'autre phénoménale, physique. Hitler a peur du contact humain et ne supporte pas la grande ville, parce qu'il y a trop de monde. Et tout ça se focalise dans 'Mein Kampf' sur la figure de l'ennemi absolu qui est l'Allemand juif", analyse Olivier Mannoni.
"Moi, j'ai entendu il y a quelques années une femme politique française parler d'immigration bactérienne. Les échos sont évidents, ils sont énormes", pointe-t-il du doigt, en référence à une phrase qui figurait en 2015 sur un document de campagne de Marine Le Pen, alors tête de liste du Front national dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie.