Boris Vian, le réenchantement

Grand Format

AFP - Christophe ARCHAMBAULT

Introduction

Décédé le 23 juin 1959 à l'âge de 39 ans en pleine projection du film "J'irai cracher sur vos tombes", dont il avait écrit le polar sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, l'écrivain et musicien français Boris Vian est à l'honneur dans une série de podcasts et d'émissions originaux de la RTS.

Chapitre 1
Un feuilleton contemporain autour de Boris Vian

Roger-Viollet - Lipnitzki

La série inédite en podcast "Les Bisons Ravis", écrite par Thomas Baumgartner et Alexandre Lenot et réalisée par Mariannick Bellot, a décidé d'imaginer un Boris Vian qui se réveille dans son appartement soixante ans après sa mort. Il rencontre Ursula, une jeune danseuse, sensible et drôle. Il se frotte à sa bande d’amies, soudées et survoltées, qui l’entraînent dans un Paris qu’il ne reconnaît plus.

Il doit comprendre qu’il est âgé de trente-neuf ans et de cent ans... en même temps. De leur côté, elles doivent négocier les incertitudes de la trentaine. Ensemble, ils tentent de trouver leur place dans cette époque.

Dans cette coproduction du Labo-RTS Culture et des Productions Hors-Cases, l'artiste français à l’œuvre polyphonique et aux multiples vies parallèles, mort le 23 juin 1959, ressuscite ainsi de surprenante manière. Cette épopée joyeuse, inspirée par le centenaire de la naissance de Vian en 2020, convoque des thèmes comme l’amitié à l’âge adulte, la créativité et l’indépendance.

>> A écouter, le premier volet du podcast "Les Bisons Ravis" :

Logo Les bisons ravis
Les bisons ravis - Publié le 28 juin 2021

Cinq émissions proposent par ailleurs sur Espace 2 un portrait déjanté et poétique de la vie de celui qui a côtoyé Miles Davis, Gréco, Prévert, et fait vibrer les années soixante à Paris: "V comme Vian" exhume et met en récit archives, chansons et musiques pour accompagner ce feuilleton contemporain original réalisé par une équipe artistique et technique franco-suisse.

>> A écouter, l'émission "V comme Vian" (1/5) dans "Figures libres :

"V comme Vian". [Gérald Wang]Gérald Wang
Figures libres - Publié le 28 juin 2021

Chapitre 2
L'artiste pluridisciplinaire

Ina/AFP - Philippe Bataillon

Tour à tour ingénieur, romancier, poète, trompettiste, traducteur, librettiste d’opéras et d’une comédie musicale, dramaturge, journaliste, nouvelliste, acteur, directeur artistique, pataphysicien, peintre, sculpteur, Boris Vian a aussi été un auteur et chanteur dont l’amour du jazz a infiltré autant sa vie qu’innervé son œuvre polymorphe.

Mille vies concentrées dans un destin furtif, qui se brisa prématurément à l’âge de 39 ans. Un jour non dénué d’ironie du sort romanesque puisque c’est à la projection privée du film "J’irai cracher sur vos tombes", adaptation non cautionnée par Vian de son pastiche éponyme de roman noir américain écrit sous le pseudonyme de Vernon Sullivan en 1946, qu’il rend son ultime souffle, victime d’une crise cardiaque. Vian aura vécu vite, intensément. Le cœur aussi hypertrophié que le talent.

>> A voir, un sujet sur le centenaire de la naissance de Boris Vian :

Boris Vian aurait eu 100 ans aujourd'hui.
19h30 - Publié le 10 mars 2020

Chapitre 3
L'antre de sa création à Paris

RTS - Sébastien Bourquin

Dans l'arrière-cour du Moulin Rouge, Boulevard de Clichy, l'appartement de Boris et Ursula Vian est toujours là, intact, rempli de livres, de vinyles, de bibelots et d'une foultitude d'anecdotes. Nicole Bertolt, mandataire de son oeuvre, nous a ouvert les portes des lieux et raconté leur histoire.

Le couple Vian s'installe au 6bis Cité Véron en 1953, et y restera jusqu'à ce que la mort les sépare. Six ans plus tard pour Boris; en 2011 pour Ursula. Depuis, c'est Nicole Bertolt qui réside dans ces murs, après avoir cohabité pendant presque trente-cinq ans avec Ursula.

Au commencement, l'appartement est exigu, condensé sur deux pièces. Boris et Ursula louent cet appartement au Moulin Rouge. Leur voisin direct est Jacques Prévert, grand ami de Vian. Puis, peu à peu, Boris va agrandir l'appartement, d'abord pour offrir une chambre à son fils Patrick, et pour installer son bureau-atelier. Car Boris, ingénieur de formation, est un grand bricoleur. C'est lui qui a tout construit dans ces lieux: meubles, étagères, cloisons, mezzanine...

Aujourd'hui, Nicole Bertolt s'affaire à diffuser l'oeuvre de Boris Vian. Et surtout à faire perdurer son esprit et sa pensée, symbolisés par cet appartement qu'il voulait toujours garder ouvert. "Cet appartement, c'est le coeur palpitant de Boris Vian. Son coeur qui continue de battre", indique-t-elle.

>> A voir, "Bienvenue chez Boris Vian", rencontre à Paris avec Nicole Bertolt, mandataire de son oeuvre :

Bienvenue chez Boris Vian
RTSculture - Publié le 28 juin 2021

Chapitre 4
L'écrivain et poète

MINISTERE DE LA CULTURE / Rmn-Grand Palais/AFP - STUDIO HARCOURT

Sa première tentative littéraire, en 1941, le voit poète de "Cent sonnets", ou l'art de s'exercer aux rimes dont ses chansons bénéficieront plus tard.

Durant la guerre, sa pathologie cardiaque l'ayant éloigné des hostilités, il se lance dans la rédaction de scénarios, saynètes et contes puis des romans dont les intrigues féeriques traduisent avec élégance sa grande imagination.

Taraudé par sa pathologie dont il cherche à chasser la menace, abasourdi par le meurtre de son père lors du cambriolage de la maison familiale à Ville-d'Avray en 1944, Boris Vian n'a pourtant jamais versé dans la tragédie, bien au contraire. Devenu un jeune père et ingénieur à 22 ans pour gagner sa vie, il multiplie les scènes d'intervention dans le bouillonnement culturel de l'après-guerre, entre cinéma, existentialisme et chanson Rive-Gauche.

En 1946, son amitié avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir lui permet de vivre l'aventure de la revue "Les Temps Modernes" dans laquelle il signe des articles. La même année, il publie son chef-d'œuvre "L'Écume des jours", qui échoue au prix de la Pléiade décerné par les éditions Gallimard et dont la véritable portée sera mieux reçue par les jeunes soixante-huitards, dix ans après sa mort. Peut-être par réaction, Vian collabore alors au journal d’obédience anarchiste "La Rue".

>> A voir, une archive de la RTS datée de 1967 sur le tournage du film "L'écume des jours" (1968), réalisé par Charles Belmont :

Tournage du film "L'écume des jours" de Charles Belmont en 1968 tiré de l'oeuvre éponyme de Boris Vian. [RTS]
Cinéma vif - Publié le 7 juin 1967

En 1947, il publie "L'Automne à Pékin" suivi de "Les morts ont tous la même peau", ce dernier toujours signé Vernon Sullivan. Il termine aussi sa première pièce de théâtre, "L'Equarrissage pour tous". L'année suivante est publié son premier recueil de poèmes, "Barnum's Digest", avec des illustrations signées Jean Boullet, puis deux traductions, par Boris et Michelle Vian, de romans de Raymond Chandler dans la "Série Noire" de Gallimard.

Mais son véritable biotope (l'esprit d'invention, l'improvisation, l'enchantement du quotidien) l'oriente d'emblée vers la pataphysique que Raymond Queneau avait "inventée" et qu'il fréquente assidûment dès 1952, en y franchissant les grades loufoques jusqu'à devenir "Satrape et Promoteur Insigne de l'Ordre de la Grande Gidouille" au sein du Collège.

Plus qu'une amuserie, cette camaraderie potache lui offre une nouvelle famille alors qu'il traverse un divorce pénible et affronte des poursuites judiciaires pour son roman noir écrit sous le pseudonyme Vernon Sullivan, "J'irai cracher sur vos tombes", déclaré pornographique par la justice.

Le succès de l'œuvre de Vian, accueillie désormais dans la Bibliothèque de La Pléiade chez Gallimard dans une réédition pour le centenaire 2020, s'explique sans doute par cette forme de jeu permanent avec la mort, le détournement des codes littéraires, le loufoque qui le rapproche parfois de Kafka, n'était chez lui un sens aigu de la "déconnade", car enfin, riez, rions, nous n'en sortirons pas vivants!

>> A voir, une interview à Paris, dans l'appartement qu'a occupé Boris Vian, avec Nathalie Piégay, professeure de littérature à l'Université de Genève, qui revient sur sa carrière littéraire hors du commun. :

Boris Vian ou la jeunesse éternelle
RTSculture - Publié le 9 juillet 2021

Chapitre 5
Le parolier et musicien

AFP

Quant à la chanson, aparté récréatif de Vian dont il reste tout de même près de 500 textes alors qu’il ne s’y consacre intensément qu’à partir de 1954, c’est une forme ludique qui coulait à vitesse grand V sous sa plume déjà leste. Cet art mineur prétendument, repris à son compte par son fils spirituel Gainsbourg qui un soir a trouvé sa vocation en voyant sur scène "une présence hallucinante, mais une présence maladive; il était stressé, pernicieux, caustique", est pourtant célébré loin à la ronde.

Son écriture de chansons épousant plusieurs registres – causticité, amour, légèreté, tendresse, alcoolisme ou civisme - s’avère aussi transgénérationnelle que certains de ses romans. Un large éventail qu’on retrouve en partie dans la quarantaine de chansons en forme de reprises inédites retenues pour un bel hommage discographique publié en 2009, "On n’est pas là pour se faire engueuler".

>> A écouter, une archive sur la création de la chanson "Le Déserteur" le 7 mai 1954 :

Boris Vian en 1948. [MINISTERE DE LA CULTURE / Rmn-Grand Palais/AFP - STUDIO HARCOURT]MINISTERE DE LA CULTURE / Rmn-Grand Palais/AFP - STUDIO HARCOURT
L'archive du jour - Publié le 7 mai 2020

De Mouloudji qui a popularisé "Le Déserteur" à Higelin, de Reggiani à Lavillliers, de Montand à Mouskouri, en passant par Salvador, Chevalier ("Pan Pan, poireau pomme de terre"), Magali Noël (l'anthologique "Fais-moi mal Johnny") ou Gréco bien sûr ("S’il pleuvait des larmes"), son répertoire s’est vu maintes fois revisité jusqu’à ce jour.

La modernité de Vian, qui dans son autobiographie s’amuse à être né, "par hasard le 10 mars 1920, à la porte d’une Maternité, fermée pour cause de grève sur le tas", ne fait pas un pli. Sous l’appellation désormais incontrôlée du mot "tube", que Vian a imposée pour désigner un succès public en lieu et place de "saucisson" à la fin des années 1950 sous sa casquette de directeur artistique pour un label phonographique, émarge un sens de l’humour contagieux bien que parfois atroce, abominable. Vian ne s’est jamais pris au sérieux et cet état d’esprit transpire dans l’ensemble de son répertoire. La trivialité côtoie la délicatesse, la lucidité l’irrévérence, l’avant-garde la gaudriole. Mais avec une élégance stylistique.

Boris Vian. [AFP]
Boris Vian. [AFP]

Vian montre une singularité brillante et une faculté de saisir et de détourner l’air du temps (rock, swing, java, polka, valse ou tango) ou de naviguer carrément à contre-courant qui ont fini par payer. Et quelques perles comme "J’suis snob", "Je bois", "Les Joyeux Bouchers" ou "On n’est pas là pour se faire engueuler" de subsister aussi solidement au panthéon de la chanson que les incunables dits plus littéraires issus de la même époque.

>> A lire aussi sur ce sujet : Boris Vian et la chanson: inépuisable

Chapitre 6
Boris Vian à redécouvrir sur la RTS

RTS - Sébastien Bourquin

- La série de podcasts "Les Bisons Ravis", de Thomas Baumgartner et Alexandre Lenot, RTS, 2021, est à écouter sur Play RTS.

- La série d'émissions "V comme Vian", Espace 2, du 28 juin au 2 juillet 2021, de 11h30 à 12h, est à écouter sur Play RTS.