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La culture afghane face aux talibans

>> Avec la reconquête de l'Afghanistan par les talibans, les inquiétudes sont vives. Quel régime vont-ils mettre en place? Quelles libertés pour les habitantes et habitants?

>> Lorsqu'ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001, les talibans avaient imposé un respect strict et rigoriste de l'islam et multiplié les interdictions, destructions, censures et punitions dans de nombreux domaines et en particulier envers les femmes. En culture, ce fut le grand vide. Musique, théâtre, danse, photographie, télévision, cinéma et toutes formes de divertissement (y compris la pratique du cerf-volant) devinrent interdits. : "Doit-on craindre pour les sites archéologiques et patrimoniaux en Afghanistan?"

>> La destruction en mars 2001 des bouddhas géants de Bamiyan, jugés anti-islamiques, est restée comme le symbole de cette tentative de mise à sac du patrimoine et considérée comme l'un des pires crimes archéologiques de l'histoire. A écouter également:

>> Pour autant, la culture afghane n'est pas morte et a même pu prospérer durant ces vingt dernières années. A travers leurs arts, des artistes afghans sur place ou en exil et d'autres artistes étrangers permettent d'appréhender une société qui n'est pas toujours celle présentée par l'actualité. Ce dossier propose quelques pistes pour entrer par une autre porte dans la réalité de l'Afghanistan.

Un dossier réalisé par la rédaction RTS Culture

Un chant pour Kaboul

Une émission spéciale de "Ramdam"

Des artistes sont persécutés, craignent pour leur vie ou sont forcés à l’exil… Une fois de plus, la culture est visée.

L'émission "Ramdam" de la RTS s'est mobilisée en organisant un concert-manifeste réunissant la diaspora afghane en Suisse romande et en Europe.

>> A voir, l'émission spéciale de "Ramdam" :

Ramdam: Un chant pour Kaboul
Ramdam: Un chant pour Kaboul / Ramdam / 106 min. / le 30 septembre 2021

>> A voir aussi, cette séquence de l'émission qui part à la rencontre d'artistes afghans :

A la rencontre d'artistes afghans
A la rencontre d'artistes afghans / Ramdam / 42 min. / le 30 septembre 2021

"Kaboul Song"

Un documentaire sur le chanteur Hossein Arman

En 2014 , Lisbeth Koutchoumoff et Wolgrand Ribeiro ont réalisé "Kaboul Song", un documentaire qui raconte le retour en Afghanisation après vingt ans d'exil à Genève du chanteur afghan Hossein Arman, le père de Khaled, afin de participer au jury de l'émission "Afghan Star".

On le suit à travers les rues de Kaboul tentant de retrouver les traces d'un passé qui s'est estompé. Une manière pour les spectatrices et spectateurs de découvrir la ville d'une manière tout à fait inédite.

Kaboul Song

"Si je survis, je veux faire un film sur ce qui est en train de se passer"

Shahrbanoo Sadat, réalisatrice

Shahrbanoo Sadat est née en 1990 de parents afghans réfugiés à Téhéran. Après le 11 septembre 2001, l'Iran a expulsé tous les réfugiés et l'adolescente de 11 ans est partie vivre avec ses parents et ses frères et sœurs dans leur village d'origine de la région de Bamiyan, au centre de l'Afghanistan.

Décidée à étudier, elle a été admise dans une école de garçons à six heures de marche de chez elle. A 18 ans, elle a choisi d'aller vivre à Kaboul et s'est inscrite à l'université, puis a rapidement décroché un stage de films documentaires. Isolée dans son enfance et adolescence, elle dit avoir vu son premier film à l'âge de 20 ans! Depuis, elle vit à Kaboul et a monté sa propre maison de production en 2013.

Deux longs-métrages

Ses deux premiers longs-métrages ont été salués par la critique, notamment au Festival de Cannes.

"Wolf and Sheep" (2016) narre les rêves d'émancipation de la jeune Sediqa, loin des traditions et d'un mariage arrangé par sa famille. Tourné à la frontière afghane du Tadjikistan, le film montre la dureté de la vie quotidienne d'une communauté de bergers issue de la minorité ethnico-religieuse hazara.

"L'orphelinat" (2019) raconte l'histoire d'un jeune garçon des rues vivant d'expédients dans le Kaboul de la fin des années 1980 et qui ne jure que par Bollywood.

Jusqu'ici, la réalisatrice ne voulait pas raconter son pays sous le prisme de la guerre, privilégiant la vie quotidienne des Afghans, toujours menacés d'un bombardement, mais résolus néanmoins à vivre.

Mais depuis le retour des talibans, son discours a changé. Lundi, dans les colonnes de The Hollywood Reporter, la jeune cinéaste annonçait: "si je survis, je veux faire un film sur ce que traverse mon pays. Mon cinéma aura changé pour toujours".

Le street art pour investir les rues

Shamsia Hassani, graffeuse

Shamsia Hassani est une jeune Afghane de 33 ans à la fois professeure à la faculté des Beaux-arts de Kaboul et street-artiste.

Depuis 2010, elle couvre les murs de la capitale de graffitis qui dévoilent des femmes grandes et fortes afin de faire voir une autre image des Afghanes que celle d'ombres cachées sous des burqas bleues.

Portrait de l'artiste afghane Shamsia Hassani. [CC-BY-SA 4.0 - Shamsia Hassani.]
Portrait de l'artiste afghane Shamsia Hassani. [CC-BY-SA 4.0 - Shamsia Hassani.]

Investir l'espace public

Peindre directement sur les murs lui permet à la fois de faire apparaître les femmes dans l'espace public, lieu dont elles sont absentes, et de partager ses oeuvres avec le plus grand nombre puisqu'elles sont accessibles depuis la rue.

En 2013, l'artiste avait été invitée à Genève. Ses oeuvres avaient été exposées à l'Hôtel de Ville et elle avait participé à un débat sur la place de la femme dans l'espace public. A cette occasion, elle avait également réalisé une fresque à l'Université ouvrière de Genève (UOG) dans le quartier des Grottes.

>> Un post Instagram de la graffeuse Shamsia Hassani publié début août intitulé "Nightmare" ("cauchemar"):

Montrer un autre Afghanistan

Des thrillers signés Cédric Bannel

Découvrir un autre Afghanistan que celui décrit dans les médias, voilà l’objectif de l’écrivain français Cédric Bannel. Il a signé plusieurs thrillers qui prennent place dans ce pays pour lequel il a eu un coup de coeur et qu'il a visité à plusieurs reprises.

Sorti en 2011, "L'homme de Kaboul" met en scène Oussama Kandar, ex-moudjahid qui a lutté au côté du commandant Massoud et qui est désormais chef de la brigade criminelle de la capitale afghane.

Le roman, dont une partie se passe également en Suisse, décrit avec un réalisme saisissant la ville de Kaboul, puis, à travers une chasse à l'homme haletante, emmène ses lectrices et lecteurs jusqu'au coeur des montagnes afghanes.

Des romans très bien documentés

Au fil de l'intrigue, on découvre les différentes ethnies et coutumes de ce pays dévasté par des guerres successives. Le romancier décrypte également les systèmes politiques et financiers en place, entre corruption, terrorisme et présence à ce moment-là à la fois des talibans et des forces de l'OTAN.

Suite au succès de ce thriller, Cédric Bannel remet en scène son policier afghan dans "Baad" (2016, Prix du meilleur polar des lecteurs de Points), "Kaboul express" (2017) et tout récemment "L'Espion français" (2021).

>> A écouter, Cédric Bannel en interview dans "Vertigo" en juin 2016 à l'occasion de la sortie de "Baad" :

Cédric Bannel. [Olivier Ciappa]Olivier Ciappa
L'invité: Cédric Bannel, auteur / Vertigo / 40 min. / le 20 juin 2016

"Les hirondelles de Kaboul"

Entrer dans l'intimité de la vie afghane

"Les hirondelles de Kaboul" est un roman de l'auteur algérien Yasmina Khadra sorti en 2002. L'histoire se déroule dans la capitale afghane à la fin des années 1990 sous le régime des talibans, qui interdit les divertissements mais fait des lapidations et autres pendaisons un grand spectacle public.

Atiq et Mussarat sont mariés depuis de nombreuses années et ne se parlent presque plus. Lui supporte mal sa sinistre vie de gardien de prison pour les femmes. Elle, souffrant d’une maladie incurable, est à l’agonie.

Mohsen et Zunaira sont jeunes, s’aiment profondément en dépit de la violence et de la misère quotidienne, veulent croire en l’avenir. Un geste insensé de Mohsen va faire basculer leur destin dans la tragédie.

Un roman qui aborde la vie de la population afghane qui subit alors une dictature religieuse. Il permet d'entrer dans l'intimité et le quotidien des personnages, montrant au passage de nombreux interdits qui peuvent sembler absurdes, comme celui des chaussures blanches pour les femmes.

Capture du film "Les hirondelles de Kaboul". [Les amateurs]
Capture du film "Les hirondelles de Kaboul". [Les amateurs]

Un film d'animation tiré du roman

En 2019, Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec portent à l'écran le roman sous la forme d'un film d'animation qui sera cette année-là le lauréat du Festival d’Angoulême.

"Avoir choisi le dessin est aussi une forme de résistance quand on sait qu' [au moment où se déroule l'histoire] c'était totalement interdit [en Afghanistan] de représenter l'être l'humain en dessin", déclarera la réalisatrice Zabou Breitman.

Du rap afghan pour dénoncer les mariages forcés

Le combat de Sonita Alizedeh

Sonita Alizadeh est une rappeuse et une militante afghane née en 1996 dans une famille traditionnelle. A l'âge de 9 ans, elle échappe à un premier mariage forcé lorsque sa famille doit fuir en Iran.

C'est après avoir entendu une chanson d'Eminem qu'elle décide de se mettre au rap. Quelques années plus tard, la réalisatrice iranienne Rokhsare Ghaem Magham décide de faire un documentaire sur cette jeune fille. Intitulé tout simplement "Sonita", le film obtient en 2016 le Grand prix du jury au festival américain Sundance.

On y découvre la jeune femme sans-papiers et illégale qui vit dans la banlieue pauvre de Téhéran avec sa sœur et sa nièce, et qui veut faire carrière dans le rap. Durant le tournage, sa mère, restée en Afghanistan, envisage une nouvelle fois de la marier à un homme qu'elle ne connaît pas. La réalisatrice offre 2000 dollars à la famille pour que la jeune femme puisse rester en Iran.

En 2014, alors qu'il est interdit pour les femmes de chanter en Iran, Sonita publie sur Youtube "Brides For Sale" ("Mariées à vendre"), un clip aux images et paroles fortes qui raconte son histoire et celui de millions d'autres jeunes filles. Le succès est au rendez-vous.

Depuis, la rappeuse est partie étudier le droit aux Etats-Unis dans le but de devenir avocate. En attendant, elle continue à coups de textes puissants à se battre pour changer la vie des enfants et des femmes de son pays, et à lutter plus particulièrement contre le mariage forcé.

D'autres rappeuses afghanes

Deux autres chanteuses afghanes ont aussi choisi le rap pour dénoncer la condition des femmes dans leur pays. Il s'agit de Soosan Firozz et de Paradise Sorouri qui se sont fait connaître en dehors de leur pays au milieu des années 2010.

Contrairement à Sonita Alizedeh, et même si elles ont toutes les deux aussi connu l'exil dans leur enfance, les deux jeunes femmes vivent toujours, aux dernières nouvelles, en Afghanistan et ont dû faire face à de nombreuses menaces contre elles-mêmes et contre leurs familles suite à la diffusion de leurs chansons.

"Les cerfs-volants de Kaboul"

Le best-seller de Khaled Hosseini

Sorti aux Etats-Unis en 2003, "Les cerfs-volants de Kaboul" a connu un immense succès aussi bien critique que populaire et connaît de nombreuses traductions. Il est l'oeuvre de Khaled Hosseini, un Américain d'origine afghane, arrivé aux Etats-Unis avec ses parents en 1980, juste après l'invasion soviétique de son pays.

L'histoire du roman démarre à Kaboul dans les années 1970. Les jeunes Amir et Hassan, frères de lait qui viennent de milieux sociaux totalement opposés, sont des amis inséparables jusqu'au jour où Hassan subit une humiliation sous les yeux de son ami qui ne fait rien pour l'aider. Leur amitié est brisée. Les années passent et les garçons deviennent adultes. Amir qui vit désormais aux Etats-Unis reçoit un jour un mystérieux coup de fil qui lui permettra de se racheter. Mais pour cela, il doit retourner dans son pays d'origine et affronter à la fois son passé et un Afghanistan aux mains des talibans.

En plus de la force de son histoire d'amitié, de trahison et de rédemption, en partie autobiographique, Khaled Hosseini permet grâce à ce roman d'entrer dans l'histoire et la culture afghanes généralement méconnues en Occident.

"Les cerfs-volants de Kaboul" a été adapté au cinéma par Marc Forster en 2009.

Suite à ce roman, Khaled Hosseini, par ailleurs médecin, publiera "Mille soleils splendides" et "Ainsi résonne l'écho infini des montagnes", deux romans qui prennent aussi place en Afghanistan.

"Ils ont raison d'avoir peur"

Suite au récent retour des talibans à la tête du pays, l'écrivain a déclaré à la BBC: "les Afghans connaissent les talibans. Ils se souviennent de ce qui s'est passé la dernière fois qu'ils étaient au pouvoir et ils ont raison d'avoir peur". Il a souligné les "excès" et "restrictions draconiennes" auxquels la population avait alors dû faire face.

La "réalité très peu enviable" à laquelle sont désormais confrontés ses compatriotes est qu'ils vont désormais "vivre sous un régime qui s'est avéré extrêmement brutal lorsqu'il était en place dans les années 1990", a-t-il ajouté, affirmant que "les talibans ne sont pas représentatifs de la volonté afghane".

Faire vivre la musique afghane traditionnelle

Khaled Arman et l'Ensemble Kaboul

Né à Kaboul en 1965 et établi à Genève depuis une vingtaine d'années, Khaled Arman a tout d'abord été un excellent guitariste classique, initié par son père Hossein Arman, lui-même musicien et chanteur réputé. Après avoir étudié cet instrument à Prague, il reçoit en 1986 un Premier Prix lors du Concours international de guitare de Radio France à Paris

Aux débuts des années 1990, le musicien décide pourtant de replonger dans la musique traditionnelle de sa patrie. Il se met à jouer du luth afghan, appelé rubab et fonde l'Ensemble Kaboul, un groupe de musique traditionnelle auquel participe également son père.

Le groupe enregistre plusieurs albums et multiplie les concerts et les collaborations, devenant ainsi une référence mondiale pour la musique afghane alors interdite sous le régime des talibans.

Sur le site de l'ensemble musical, on peut lire que leur but est d'explorer la musique persane d'Afghanistan, un "répertoire méconnu voire oublié" et que pour y arriver le groupe "s'adonne à un travail d’'archéologie musicale' afin de redécouvrir les thèmes enfouis, les ornements détruits et les motifs perdus d’un corpus musical jadis florissant."

Un documentaire sur Hossein Arman

En 2014 , Lisbeth Koutchoumoff et Wolgrand Ribeiro ont réalisé "Kaboul Song", un documentaire qui raconte le retour en Afghanisation après vingt ans d'exil à Genève du chanteur afghan Hossein Arman, le père de Khaled, afin de participer au jury de l'émission "Afghan Star". On le suit à travers les rues de Kaboul tentant de retrouver les traces d'un passé qui s'est estompé. Une manière pour les spectatrices et spectateurs de découvrir la ville d'une manière tout à fait inédite.

>> A écouter également, un entretien de 2015 avec Laurent Aubert, ethnomusicologue et directeur des Ateliers dʹethnomusicologie de Genève qui évoque les influences des cultures persanes et indiennes sur la musique afghane :

Deux enfants dans les rues de Kaboul en 2015. [Keystone - Massoud Hossaini]Keystone - Massoud Hossaini
L'Afghanistan (1/5) / Histoire vivante / 56 min. / le 14 septembre 2015