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"They all came out to Montreux – La folle histoire du Montreux Jazz Festival"

Carte d'identité de Claude Nobs [© Claude Nobs Foundation Archive]
Carte d'identité de Claude Nobs - [© Claude Nobs Foundation Archive]
Comment un jeune Montreusien, cuisinier de formation, a-t-il créé l'un des plus prestigieux festivals musicaux du monde? L’histoire de Claude Nobs et celle du Montreux Jazz Festival sont indissociables. Elles sont toutes deux racontées, à l’aide d’incroyables images inédites, dans un documentaire en trois parties à voir ici.

Office du tourisme de Montreux, milieu des années 1960. Après un apprentissage de cuisinier, Claude Nobs exerce le métier de comptable. Sa passion? Le jazz, qu'il écoute religieusement le soir à la radio. A l'époque, la petite ville de la Riviera vaudoise est le refuge de nombreuses touristes anglaises. Un lieu de villégiature aussi sublime… qu'ennuyeux.

Berne - New York - Montreux

Pour y remédier, le comptable mélomane a une idée: créer de toutes pièces un festival de jazz, rien que ça. L'Office du tourisme lui confie 10'000 francs pour développer son projet et Claude Nobs part à New York rencontrer Nesuhi Ertegün, patron du label Atlantic Records. Alors que la secrétaire fait barrage – Claude n’a pas rendez-vous  – Ertegün entend son accent français et vient voir ce qui se passe. Il est le fils de l’ex-ambassadeur de Turquie à Berne et a un faible pour la Suisse. Bingo! Le festival prend son envol et les artistes d'Atlantic Records sont parmi les premiers à s'y produire.

Nina Simone: "The Sound of Silence" (Simon and Garfunkel)
Nina Simone: "The Sound of Silence" (Simon and Garfunkel) / Les Documentaires de la RTS / 1 min. / le 8 avril 2022

"Funky Claude" dans la légende

A la fin des années 1960, le rock explose. C'est LA musique des jeunes. Claude Nobs est fan de jazz mais pas sectaire. Pour lui, seuls comptent l'intégrité artistique des musiciens et leur plaisir. Le festival s'ouvre alors à d'autres styles: Pink Floyd, Ten Years After ou Led Zeppelin sont invités et le public change, rajeunit. Des milliers de hippies dorment sous tente dans les parcs, au bord du lac. Montreux prend des airs de Woodstock-sur-Léman qui ne plaisent pas à tout le monde. (voir encadré)

Claude n'avait pas peur d'inviter ceux qui ne faisaient pas de jazz, à condition qu'ils méritent d’être sur scène.

Marcus Miller, bassiste, à propos de Claude Nobs

En décembre 1971, Deep Purple débarque. Le groupe déteste travailler en studio et s'installe au casino pour enregistrer son prochain album. Le projet part en flammes dès le lendemain dans l'incendie du casino, alors que Frank Zappa est sur scène. Après une nuit agitée, Roger Glover, bassiste de Deep Purple, se réveille sous le choc et avec une phrase en tête: "smoke on the water"... De la fumée sur l'eau. Le futur tube raconte la catastrophe en évoquant Claude Nobs, qui y gagne son surnom: Funky Claude.

La folle histoire du Montreux Jazz Festival  1-3 [GM Press - A. Bettex]
"Smoke on the Water" (Deep Purple) / Les Documentaires de la RTS / 1 min. / le 8 avril 2022

They burned down the gambling house; It died with an awful sound; Funky Claude was running in and out; He was pulling kids out the ground...

Extrait des paroles de "Smoke on the Water" de Deep Purple, paru sur l’album "Machine Head" (1972, EMI / Warner Bros)

Montreux sur la carte du monde

Le casino est reconstruit en trois ans et Claude Nobs demande qu'un studio y soit ajouté. Celui-ci verra défiler des pointures comme les Rolling Stones, Queen, David Bowie ou AC/DC. C’est d’ailleurs aux Mountain Studio que Queen et Bowie, après un repas chez Claude Nobs, enregistrent ensemble le morceau "Under Pressure". En deux heures.

A force de tomber sur des albums "live in Montreux", de nombreux artistes sont intrigués par

Le château de Chillon sur la pochette de l'album "At The Montreux Jazz Festival" de Bill Evans (1968, Verve Records)
Le château de Chillon sur la pochette de l'album "At The Montreux Jazz Festival" de Bill Evans (1968, Verve Records)

la mystérieuse cité vaudoise. Le bassiste Marcus Miller l'évoque ainsi: "On ne savait pas où c’était ni ce que c'était, mais on savait que la musique était géniale." Le lieu devient mythique et, si tout le monde veut y jouer, l'accueil n'y est pas pour rien.

Car quand Claude Nobs reçoit chez lui, on peut tomber sur Bo Diddley discutant avec Quincy Jones, ZZ Top ou Bob Dylan à vélo. Une collection de stars en train de jammer dans la maison, de jouer au billard au jardin ou de déguster la cuisine de Claude, en toute simplicité. Dans ces conditions, certains artistes restaient cinq jours à Montreux, pour le plaisir de ces rencontres et du cadre magnifique.

Un trésor au chalet

Après avoir fait construire sa nouvelle maison sur les hauts de Montreux, Claude Nobs décide de stocker ses archives dans son ancien chalet, juste à côté. Il y a là quelques aperçus de l'édition 1968 en noir et blanc, Ella Fitzgerald et Les McCann en 1969. La couleur arrive en 1971 avec les concerts d'Aretha Franklin, Roberta Flack, etc. Dès lors, tout est enregistré puis numérisé.

Alicia Keys en 2004: "Night Time is the Right Time"
Alicia Keys en 2004: "Night Time Is the Right Time" / Les Documentaires de la RTS / 2 min. / le 8 avril 2022

Des armoires coulissantes renferment les enregistrements des 55 éditions du festival. Les plus grands noms, tous styles confondus, précieusement classés et conservés. Une caverne d'Ali Baba musicale. Les trois documentaires qui sont tirés de ces archives (à voir ci-dessous) n’exploitent que "quelques" joyaux de cet incroyable trésor: trois fois 50 minutes de pur plaisir.

Les Documentaires RTS, Franck Sarfati

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"Une lame de rasoir pour que je me suicide"

En 1973, après l'ouverture du nouveau Centre des Congrès, Claude Nobs est arrêté. La police lui reproche d'avoir eu des relations homosexuelles avec des jeunes de moins de vingt ans. Son ami le producteur Michael Cuscuna raconte que Claude a été piégé lors d'un rendez-vous dans un hôtel. Un inspecteur accompagné d'un photographe ont fait irruption et le scandale a éclaté.

Image tirée du film "They all came out to Montreux – La folle histoire du Montreux Jazz Festival"
Image tirée du film "They all came out to Montreux – La folle histoire du Montreux Jazz Festival"

Claude Nobs est incarcéré. On lui prend ses habits et on lui fournit une brosse à dents ainsi qu'une lame de rasoir, "pour que je me suicide", comme il le raconte lui-même dans le film. Les journaux du monde entier titrent sur l'événement. Après une pétition signée par des centaines de personnes, il finit par être libéré.

Nesuhi Ertegün, patron du label Atlantic Records, lui propose alors de travailler pour lui: "Quitte Montreux, viens bosser avec nous!" La proposition le touche mais il refuse. L'amour pour sa ville natale était trop fort. Et puis, comme il l'affirme: "Je voulais démontrer que ma vie privée reste ma vie privée, et que ce sont mes affaires".