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En attente d'un arbitrage, l'éditeur Dupuis suspend la résurrection de Gaston Lagaffe

Statue du personnage de Gaston Lagaffe située à Bruxelles. [Hemis via AFP - Bertrand Rieger]
ACTU CULTURELLE / Vertigo / 2 min. / le 16 mai 2022
L'éditeur belge Dupuis a décidé de différer la sortie d'un nouvel album de Gaston Lagaffe, initialement prévue cette année. Il a fait cette annonce lundi à l'occasion d'une audience devant un tribunal de Bruxelles, saisi par Isabelle Franquin, la fille du créateur du gaffeur culte.

Sous le coup d'un procès, Dupuis a décidé de différer à l'an prochain - au plus tôt - la sortie d'un nouvel album de Gaston Lagaffe. Sa parution est combattue par la fille du dessinateur belge André Franquin, décédé en 1997. Elle refuse que le personnage revive sous les traits d'un autre dessinateur, le Canadien Marc Delafontaine, alias Delaf.

>> Lire sur ce sujet : La fille d'André Franquin saisit la justice pour stopper la résurrection de "Gaston Lagaffe"

"Son papa a répété de manière continue, pendant des années, qu'il ne voulait en aucun cas que Gaston Lagaffe soit repris par un autre dessinateur après sa mort", a affirmé l'avocate d'Isabelle Franquin devant le tribunal.

Il s'agit d'"un droit moral inaliénable" qu'est habilitée à exercer celle qui est l'unique ayant droit d'André Franquin, a-t-elle ajouté.

Souci d'apaisement

A l'inverse, les éditions Dupuis estiment être propriétaires des droits patrimoniaux sur les personnages de Franquin, via le rachat en 2013 de la société Marsu Productions. Mais lundi, son avocat a annoncé que l'éditeur acceptait de différer son projet. "On n'a pas envie de faire la guerre, on veut un débat serein" avec Isabelle Franquin, a-t-il expliqué.

Par conséquent, toute prépublication dans le journal de Spirou d'une nouvelle planche de Lagaffe est suspendue, et l'album lui-même ne sortira pas avant 2023, ce qui laisse le temps de trancher le litige au fond, au terme d'un arbitrage privé.

Dans son numéro du 6 avril, Dupuis avait publié un premier gag de Lagaffe dessiné par Delaf dans le journal de Spirou, ce qu'avaient déploré les avocats d'Isabelle Franquin. L'éditeur avait alors déjà annoncé suspendre la suite des prépublications "par souci d'apaisement".

L'arbitre choisi par les deux parties devrait rendre sa décision "fin septembre", dans un délai d'un mois après des plaidoiries à huis clos prévues fin août. Ce jugement ne sera pas susceptible d'appel, selon les avocats des deux camps.

jop avec pr et afp

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Soutien du milieu

L'affaire met en ébullition le monde de la bande dessinée. Des centaines de personnes, dont plusieurs auteurs et d'autrices de BD, ont signé une lettre ouverte de soutien à Isabelle Franquin, accusant le projet de Dupuis de "bafouer le droit moral" du créateur de Lagaffe.

"En agissant ainsi, vous fragilisez une forme artistique qui a mis plus d’un siècle à se faire respecter. Vous proposez de revenir à une époque où la volonté du créateur était soumise au bon vouloir des détenteurs des droits commerciaux et où un ersatz - ou produit dérivé - se présente comme une oeuvre originale", dénonce ce texte.

Parmi les signataires, plusieurs ont laissé des commentaires parfois cinglants. "Arrêtez avec ces imitations de personnages, c’est nul", assène Zep, l'auteur de Titeuf.

"Je signe d’autant plus volontiers que j’ai formulé la même intention à de nombreuses reprises: devant mes proches, devant notaire et sur différents médias. Je m’oppose à ce qu’un autre dessinateur s’empare du Chat, après ma disparition", écrit Philippe Geluck.

D'autres en revanche soutiennent le projet d'une suite, notamment le célèbre scénariste Jean van Hamme (Thorgal, XIII, Largo Winch). Pour lui, tant que "le personnage de Gaston est respecté, il n’y a rien à redire."

Pratique courante dans la BD

La poursuite d'une oeuvre par un éditeur ou les reprises de personnages par d'autres auteurs sont monnaies courantes dans l'univers de la bande-dessinée. Une spécificité de cette littérature.

Ainsi, plusieurs personnages et séries cultes comme Astérix, Blake et Mortimer, Lucky Luke, les Schtroumpfs ou encore plus récemment Corto Maltese, relancé par les éditions Casterman en 2021, ont vécu une renaissance après la mort de leur créateur. Franquin lui-même avait repris le personnage de Spirou, et avait transmis de son vivant son personnage du Marsupilami au dessinateur Batem, afin d'en faire une série indépendante.

Mais le père de Gaston a toujours exprimé de son vivant sa volonté que Gaston ne lui survive pas sous le crayon d'un autre dessinateur. "Gaston Lagaffe est une oeuvre particulière qui concernait profondément" Franquin, expliquait Philippe Duvanel, directeur artistique du festival Delémont'BD, fin mars dans La Matinale.

>> Écouter l'interview de Philippe Duvanel, directeur artistique de Delémont'BD :

Gaston Lagaffe par Franquin. [RTS - Capture d'écran, Musée des bulles, 1977]RTS - Capture d'écran, Musée des bulles, 1977
Le retour de Gaston Lagaffe: interview de Philippe Duvanel / La Matinale / 1 min. / le 30 mars 2022