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L'histoire de la sulfureuse collection Gurlitt racontée dans "La Collection inavouable"

L'invité de La Matinale - Dimitri Delmas, auteur du livre "La Collection inavouable"
L'invité de La Matinale - Dimitri Delmas, auteur du livre "La Collection inavouable" / La Matinale / 15 min. / le 4 août 2023
En 2012, un contrôle douanier dans un train en partance de Zurich et quelques mois d’enquête ont permis de mettre la main sur d'innombrables œuvres d'art que l'on pensait disparues. Dans "La Collection inavouable", Dimitri Delmas retrace l'histoire de la collection d'Hildebrand Gurlitt, constituée en partie d'oeuvres volées sous le 3e Reich.

Matisse, Monet, Picasso, Otto Dix ou encore Gustave Courbet... En février 2012, la police allemande met la main sur plus de 1400 oeuvres à Munich, dans l'appartement de Cornelius Gurlitt, fils du collectionneur Hildebrand Gurlitt (1895-1956). Des toiles entassées, la plupart non-encadrées, et cachées derrière des boîtes de conserve périmées. Certaines oeuvres étaient réputées perdues depuis 1945, d'autres étaient même inconnues des spécialistes. Et environ 300 auraient fait partie de l'"art dégénéré" confisqué par les nazis.

Depuis la mort de Cornelius Gurlitt en 2014, ces oeuvres sont conservées au Musée des Beaux-Arts de Berne. Une partie ont été restituées à leurs propriétaires officiels en 2021. Une exposition l'année dernière a également permis d'ouvrir au public cet héritage délicat.

>> Lire à ce sujet : Le Kunstmusueum de Berne renonce à 38 oeuvres de la collection Gurlitt volées par les nazis ou suspectes

"Double-vie permanente"

"La Collection inavouable", de Dimitri Delmas. [Flammarion, 2023]
"La Collection inavouable", de Dimitri Delmas. [Flammarion, 2023]

À l'origine de ce butin au passé trouble, un collectionneur ayant dérivé, au fil de sa vie, de fervent défenseur de l'art moderne et d'une avant-garde engagée à profiteur de guerre et receleur du 3e Reich.

"C'est quelqu'un de difficile à saisir. Plus on s'en approche, plus on a l'impression qu'il s'éloigne. C'est quelqu'un qui vit en permanence une double vie", décrit Dimitri Delmas, auteur de "La Collection inavouable", paru début 2023 chez Flammarion et qui retrace l'histoire de ce trésor culturel accumulé depuis les années 1930.

"À partir de 1943, il gagne énormément d'argent et devient très riche grâce à ces acquisitions qui se font aux dépens des familles juives", souligne-t-il vendredi dans La Matinale.

Un "trésor maudit" fascinant

À l'origine du livre, une véritable fascination pour cette découverte hors du commun dans l'appartement de Cornelius Gurlitt, "ce vieux monsieur qui vivait entouré d'une collection immense, conservée dans le plus grand secret pendant des dizaines d'années. [...] C'était comme un musée". Un musée aux allures de trésor maudit pour son conservateur: "On ne lui connaît pas de vie sociale ni d'amitiés."

"J'ai d'abord été fasciné par ces peintures qui vont de la Renaissance jusqu'au début du 20e siècle. Et j'ai eu envie d'en savoir plus sur cette collection", explique Dimitri Delmas. L'ouvrage, très précis et détaillé, est toutefois destiné au grand public. Il comporte de nombreuses images d'archive, des dessins de son auteur et même quelques planches de BD réalisées par l'autrice Laureline Mattiussi.

"La question s'est posée de comment raconter une histoire vraie... J'ai fait le choix du récit littéraire, illustré, pour essayer de varier les entrées et rester accessible", explique Dimitri Delmas. Un choix qui n'empêche pas la rigueur historique: "J'ai eu la chance d'être bien entouré de spécialistes de la question, notamment d'historiens du nazisme comme Johann Chapoutot qui m'a relu et apporté beaucoup d'éléments passionnants sur cette période. Et aussi d'historiens de l'art et de chercheurs."

Le tabou n'est pas encore levé

"La Collection inavouable" plonge dans un aspect de l'histoire encore peu connu, même si la question de la restitution des oeuvres volées est désormais régulièrement thématisée. "Ça permet de mettre en avant les travaux des chercheurs et des chercheuses qui retracent le parcours de ces oeuvres", salue Dimitri Delmas.

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Le sujet reste toutefois très tabou dans le monde de l'art. Depuis 2012, peu de galeries ont accepté d’ouvrir leurs archives et de révéler leurs relations d’affaires avec la famille Gurlitt. "Ça reste un milieu assez feutré et sans histoires, où tout n'est pas encore très clair."

Le livre note aussi que la Suisse a joué un rôle important dans les transactions d'œuvres d’art spoliées durant la Seconde Guerre mondiale. "Ce n'est pas un hasard que la collection se retrouve à Berne", estime ainsi Dimitri Delmas, qui présentera son livre à l’Institut français à Berlin le 5 octobre et qui pourrait en faire de même dans la capitale suisse.

Propos recueillis par Aleksandra Planinic
Texte web: Pierrik Jordan

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