Stars d'Halloween, les sorcières de Salem cachent une sombre histoire
>> Le jour d'Halloween, un lieu des Etats-Unis accueille des dizaines de milliers de touristes amateurs de frissons et de sortilèges: la ville de Salem dans le Massachusetts, célèbre pour ses sorcières.
>> Dans la pop culture, les sorcières peuplent romans, séries TV, films, de "Scooby-Doo" à "Buffy contre les vampires" en passant par "Ma sorcière bien-aimée". Mais derrière l'image pop d'une femme à chapeau pointu qui vole sur un balai se cache un phénomène historique sordide.
>> Retour sur le procès des sorcières de Salem, l'un des épisodes les plus sombres de l’histoire américaine.
Une proposition d'Ellen Ichters
Adaptation web: aq
Salem, la cité des sorcières
Fiction vs réalité historique
Depuis quelques années, les sorcières reprennent du service. A travers les différents féminismes, innombrables comptes des réseaux sociaux dévoués au new age, à la magie blanche et à l'astrologie, c'est la revendication d’un contre-pouvoir au patriarcat et à l’ultralibéralisme.
Une manière de réhabiliter l'image de la sorcière véhiculée dans l'inconscient collectif, toujours bien présent. La preuve? Une enquête pas si ancienne que ça révélait que plus de 20% de la population américaine croyait encore que des sorcières malfaisantes pouvaient leur jeter un sort.
Witch City
Peu importe les croyances, dans toute cette sorcellerie, un lieu tire son épingle du jeu. La ville de Salem, dans le Massachusetts aux Etats-Unis. A la période d’Halloween, une foule bigarrée se rassemble dans cette petite ville de 40'000 habitants dans une ambiance bon enfant.
La Witch City (la ville des sorcières) doit sa réputation à l'un des épisodes les plus noirs de l’histoire américaine. Entre 1692 et le début de 1693, une centaine de personnes y ont été accusées de sorcellerie. Un épisode qui est resté très vivant à travers la fiction et qui s'est mythifié à travers les siècles. Romans, films, séries TV et jeux vidéo ont fait de Salem un véritable repaire de sorcières. Si bien qu’aujourd’hui, la fiction n'est pas loin de se substituer à la réalité historique.
De plus, pour ne rien arranger, cet événement a offert l’expression "Witch Hunt" (chasse aux sorcières) qui se popularise dans les années 1950 avec la politique de purge anti-communiste du sénateur McCarthy, est récupérée par Richard Nixon lors du Watergate en 1973, puis passe dans le langage courant.
Folie puritaine
19 condamnés à la pendaison
Au départ, les treize colonies qui donneront par la suite naissance aux Etats-Unis étaient peuplées de colons majoritairement issus de courants religieux en provenance du Royaume-Uni. Par exemple les puritains, une secte de presbytériens rigoristes que l'on retrouve en nombre dans les petites villes du Massachusetts.
Au début de l'année 1692, à Salem, Abigail Williams, Ann Putnam et Betty Parris, trois adolescentes âgées de 9 à 11 ans, s’adonnent en secret à la divination. Quelque temps plus tard, elles se plaignent de symptômes étranges. Elles prétendent voir des spectres, ont des hallucinations, crachent involontairement et parlent des langues inconnues...
Accusations et incarcérations sans jugement
Les médecins ne trouvant aucune explication, on évoque la possession satanique. Sommées de s'expliquer, les trois filles accusent quelques adultes: ici une mendiante, là une femme solitaire, et encore là, Tituba, une esclave barbadienne qui leur aurait appris à lire l’avenir.
Par ailleurs, plusieurs autres jeunes femmes se plaignent des mêmes symptômes, ce qui aboutit à d'autres accusations et incarcérations sans jugement, et ce, pour des motifs et des preuves de plus en plus aberrants. Il suffisait par exemple d’avoir rêvé de la suspecte pour que cela constitue une preuve de sa culpabilité. On parle de "preuves spectrales".
Au bout du compte, sur la centaine de personnes arrêtées et questionnées en six mois, dix-neuf sont condamnées à la pendaison pour sorcellerie. Parmi elles, des hommes: un pasteur respecté, un ancien policier qui avait refusé de continuer à arrêter des femmes, et trois personnes plutôt fortunées. Mais ce sont surtout des femmes, qui ont toutes le défaut d’être vieilles et misérables.
Net ralentissement de l'économie
L’horreur s’arrête en octobre 1692, mais l’affaire des sorcières de Salem provoque un net ralentissement de l'économie de la région.
Aujourd’hui, l’histoire n’est pas unanime sur les raisons de cette folie puritaine: une jalousie entre deux petites villes? L’angoisse des attaques indiennes? Une façon de s’approprier des terres par la terreur? Ou même peut-être le célèbre ergot de seigle, champignon qui se développe après des printemps particulièrement humides et dont la structure chimique est proche de celle du LSD.
Chapeau pointu et balai
La sorcière du "Magicien d'Oz"
Du côté de l’Europe, les sorcières se nomment Baba Yaga chez les Russes, la fée Morgane dans le cycle du Roi Arthur, Circé dans L’Odyssée...
Tous ces personnages ont été quelque peu éclipsés par les sorcières de Disney - celle de "Blanche Neige", "Maléfique" ou encore "Cruella". Mais c’est le personnage de la Sorcière de l’Ouest du film "Le magicien d’Oz" de Victor Fleming, sorti en 1939, qui a figé l’image du chapeau pointu et du balai dans l’histoire du cinéma.
La Sorcière de l'Ouest est toute verte, toute vilaine et cherche à venger sa sœur morte, écrasée par la maison de Dorothy. Après ce film, pour beaucoup, désormais, une sorcière ressemble à cela.
Mais en réalité, ses attributs sont des détournements d’une activité réservée aux femmes depuis l’antiquité: le brassage de la bière. Autrefois, des femmes portaient un long manteau noir et avaient un balai pour brasser les liquides. Quant au chapeau pointu, il leur permettait d’être repérées facilement dans la foule. C’est à l’époque de l’Inquisition que la maîtrise de ce savoir-faire et l’indépendance économique des brasseuses a été la cible de l’église et que l’on a associé cet uniforme aux sorcières.
La couleur verte
Et la couleur verte? Cela vient également du "Magicien d’Oz". Au début, le film est en noir et blanc, puis il passe à la couleur dès que Dorothy débarque au pays d’Oz.
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"Le magicien d'Oz" est l’un des premiers films en couleurs de l’histoire et la production choisit le vert pour faire ressortir la Sorcière de l’Ouest. A l’époque de la sortie du film, l’effet fut si grand que de nombreux enfants déclarèrent en avoir fait des cauchemars.
"Ma sorcière bien-aimée"
La série qui change tout
Si "Le magicien d’Oz" s’est attelé à enlaidir la sorcière, le showbusiness des années 1960 se charge d’en faire une femme au foyer à travers l’une des séries les plus populaires de l’histoire de la télévision: "Ma sorcière bien-aimée".
On y suit le quotidien de Samantha - incarnée par l’actrice Elizabeth Montgomery - qui est une descendante des sorcières de Salem. Samantha choisit pourtant de délaisser ses pouvoirs par amour pour Jean-Pierre, son humain de mari, et embrasse la noble fonction de femme au foyer. Tout un symbole.
Au fil des épisodes, Samatha doit réparer les sales tours que sa mère joue à son idiot de mari. Il faut dire que la matriarche aurait préféré que sa fille embrasse son destin de sorcière plutôt que de se soumettre à l’American Way of Life.
Paternaliste, mais sauvée par le charisme d’Elizabeth Montgomery et son fameux mouvement de nez, "Ma sorcière bien-aimée" replace les sorcières de Salem dans un contexte de pop culture et donne un nouvel élan à la ville américaine de Salem. Dans une des dernières saisons de la sitcom, Samantha part à la recherche de ses ancêtres. Elle voyage dans le temps pour se retrouver elle-même victime d’un procès.
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Du drame historique à l'attraction touristique
L’événement suscite un véritable engouement pour la ville de Salem, qui était jusqu’alors très réticente à ce qu’on parle de ce sombre passé.
En 1952, les habitants de la ville avaient par exemple refusé d’aider le dramaturge Arthur Miller dans ses recherches pour sa célèbre pièce "Les Sorcières de Salem" qui sera néanmoins un immense succès.
Avec "Ma sorcière bien-aimée", tout change. La ville - moribonde économiquement - saisit l’occasion unique de transformer d’un coup de baguette magique un drame historique en une attraction touristique pleine d’exagérations. Cela débute par un festival en 1982, puis une démultiplication d’événements autour d’Halloween.
Depuis 2005, une statue de l’actrice d’Elizabeth Montgomery trône au centre-ville, véritable lieu de pèlerinage pour les unes, révisionnisme historique scandaleux pour les autres. Depuis, à Salem, même les voitures de police ont une silhouette de sorcière sur un balai.