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Pascal Vandenberghe: "La librairie, ce n'est pas un métier où l'on peut faire fortune"

#Helvetica - Grégoire Furrer, patron du Montreux Comedy Festival. [RTS]
#Helvetica: Pascal Vandenberghe / #Helvetica / 20 min. / le 17 février 2024
Directeur général de Payot depuis 2004, Pascal Vandenberghe a annoncé début février qu'il allait partir à la retraite dès la fin du mois. Une nouvelle page se tourne pour ce passionné au parcours tumultueux, naturalisé suisse en partie pour "échapper" à la France et ses zones d'ombre.

Figure romande emblématique depuis de nombreuses années, Pascal Vandenberghe aura 65 ans à la fin de l'année. "J'ai un peu anticipé", sourit-il. Il quittera ainsi ses fonctions de PDG de Payot mais aussi de président du Conseil d'administration.

"Je pense qu'il faut savoir tourner la page, se retirer quand il est temps et laisser la place à d'autres", a-t-il expliqué samedi dans l'émission Helvetica. "C'est le fruit d'une mûre réflexion, et à partir du moment où les choses étaient décidées, il fallait les mettre en oeuvre. Je ne suis pas quelqu'un qui tergiverse beaucoup."

Interrogé sur d'éventuelles raisons qui l'auraient poussé vers la sortie plus rapidement que prévu, le futur retraité balaie: "Y'a pas de lézard! Les dernières années ont été difficiles, assez éprouvantes; j'ai besoin de me reposer un peu. J'ai une montagne de livres de retard, donc je vais d'abord m'occuper de moi, ce que je ne fais pas depuis 20 ans."

Un secteur en tension permanente

Arrivé à la tête de Payot en 2004, Pascal Vandenberghe a été très actif dans son développement. Il a même racheté la société au Groupe Lagardère en 2014. "L'entreprise existe depuis 1877, elle aura bientôt 150 ans. J'ai marqué 20 ans de son histoire, c'est un petit laps de temps. Les choses continuent et je lui souhaite surtout de prospérer encore dans les prochaines décennies", modère-t-il.

>> Lire à ce sujet : Le directeur général de Payot Pascal Vandenberghe part à la retraite

Et le directeur sortant se montre confiant pour l'avenir: "J'ai une équipe en place aujourd'hui qui est tout à fait capable de reprendre les choses. Ce qu'on a construit depuis 2004, on l'a fait ensemble. La sauce a pris et il y a eu un bouleversement au sein de l'entreprise, qui a trouvé son identité."

Quand on fait de la librairie, on est toujours sur la corde raide

Pascal Vandenberghe

Le secteur du livre n'est pourtant pas un long fleuve tranquille. La compétition est rude pour se maintenir à flot, et Pascal Vandenberghe a mené plusieurs batailles dans sa carrière à la tête de Payot. Il a notamment contribué à changer l'image du groupe auprès des petites librairies.

"Avant mon arrivée, un certain nombre de choses étaient floues et mal interprétées. J'ai voulu très rapidement montrer que nous ne sommes ni les ennemis ni les adversaires des libraires indépendants, mais que nous formons un tout. Nous sommes compatibles et nous nous respectons mutuellement", expose-t-il. Et heureusement, car "quel que soit le pays, quand on fait de la librairie, on est toujours sur la corde raide. Ce n'est pas des métiers où on peut faire fortune."

"C'est tombé sur Madrigall, ça aurait pu être un autre"

Il rappelle également que Payot n'est pas un acteur si important sur le marché du livre et qu'il y a un rapport de force défavorable vis-à-vis de la France, où les acteurs de la distribution sont puissants et les livres se vendent moins cher.

C'est dans cette optique qu'il a engagé fin 2022 une action auprès de la Commission de la concurrence (COMCO) contre le groupe Madrigall, qui distribue les livres français en Suisse et qu'il accuse de profiter de sa situation dominante pour faire flamber les prix.

>> Lire aussi : Prix des livres français en Suisse: Pascal Vandenberghe évoque "une victoire d'étape"

Je pense que c'est le rôle de la loi de faire en sorte que ce ne soit pas toujours le plus gros qui gagne. Sinon, les lois ne servent à rien.

Pascal Vandenberghe

"Pour l'instant [...] on est dans un système monolithique de distribution et de diffusion exclusive. Donc il n'y a pas de concurrence entre fournisseurs. C'est une particularité du marché français et c'est là qu'est le problème", explique-t-il. "C'est tombé sur Madrigall, mais ça aurait pu être un autre, car le système est partagé par tous. Il fallait juste qu'il y en ait un qui commette une erreur pour me permettre d'engager une action à la COMCO. Maintenant, le secrétariat a terminé son travail et la balle est dans le camp de la COMCO, qui doit rendre une décision dans les prochaines semaines."

Pour lui, il s'agit de rétablir un peu de justice et d'équilibre des forces: "Je pense que c'est le rôle de la loi de faire en sorte que ce ne soit pas toujours le plus gros qui gagne. Sinon, ça ne sert à rien, les lois!"

Propos recueillis par Philippe Revaz

Texte web: Pierrik Jordan

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Une vie à la recherche d'"oxygène"

Dans sa retraite, Pascal Vandenberghe pourra peut-être retrouver aussi une partie de la liberté après laquelle il a toujours couru. Après avoir quitté l'école à 16 ans, il a d'abord vécu "une vie de baroudeur pendant 6-7 ans" avant de prendre ses quartiers dans le monde du livre.

"J'avais besoin d'oxygène, je n'étais pas fait pour les chemins tracés, j'avais besoin de trouver d'autres voies plus personnelles qui correspondraient mieux à mes désirs de liberté", se remémore-t-il.

Il a ensuite gravi les échelons sans plan de carrière défini. Mais un objectif s'est rapidement dessiné: quitter la France. "Mon histoire avec ce pays est compliquée, je n'ai plus pour lui l'affection que j'ai pu avoir", explique-t-il dans Helvetica.

C'est pourquoi, après avoir acquis la nationalité suisse en 2017, il a renoncé à son passeport français. "Il fallait que j'aille au bout du raisonnement."

La résistance plutôt que la résilience

Le natif d'Auxerre se dit chagriné tant par le passé de son pays d'origine, parsemé de "zones d'ombre", que par son présent: "Il a fallu des années pour que la France assume son histoire durant l'occupation." Il évoque notamment sa propre mère, enrôlée à l'époque dans les jeunesses hitlériennes et qui parfois, devant lui, "fredonnait des chansons nazies".

"Pour l'Algérie, c'est la même chose. Et aujourd'hui, je trouve que c'est un pays qui va mal. Je ne vois pas tellement comment il peut s'en sortir", poursuit-il. Et d'ajouter, impitoyable: "La différence avec d'autres pays, c'est que la France se veut toujours donneuse de leçons, alors qu'elle n'est souvent pas capable de déblayer devant sa porte."

C'est aux fantômes de ce pays et de cette famille que Pascal Vandenberghe a longtemps cherché à tourner le dos. Il dit toutefois ne pas avoir fait preuve de "résilience", un mot qu'il admet détester: "La résilience, c'est surtout une capacité à courber l'échine qui n'a pas que des bons côtés. Je lui préfère le terme de résistance."