"J'étais en vacances et ma boîte mail commençait à être bombardée", se rappelle Martin Callmander, conservateur du Jardin botanique de Genève. La nouvelle? "Il y a un herbier qui est en vente, un herbier de Rousseau hyper rare. Il faut absolument qu'on essaie de l'acheter!"
L'objet avait disparu des radars depuis les années 1970 et côtoyait des manuscrits de Proust et Zola dans une collection privée. En seulement deux semaines après sa soudaine réapparition, une somme importante a pu être réunie grâce à plusieurs fondations afin que le Jardin botanique puisse tenter sa chance lors d'une vente aux enchères.
Des plantes vieilles de 250 ans
"Le fait de se retrouver là, pour moi, c'était mythique. Une expérience fabuleuse. Beaucoup d'envie, beaucoup d’espoir et ça a marché, c'était fantastique!", sourit le spécialiste.
L'institution genevoise s'est adjugé l'herbier pour la coquette somme de 160'000 euros. Entre les pages, l'éclat des plantes, collectées il y a plus de 250 ans aux alentours de Paris par le promeneur solitaire, est à peine estompé.
"En fait, ce sont des herbiers que Rousseau confectionnait pour ses amis, souvent des grandes personnalités, pour populariser la botanique. Il y en a encore quelques-uns dans le monde, mais il en reste très peu de traces", indique Martin Callmander.
Passion botanique et mission pédagogique
"Avec son projet pédagogique didactique, Jean-Jacques Rousseau a vraiment joué un grand rôle pour que les gens puissent apprendre la botanique. C'est un des premiers dans ces années-là", abonde Patrick Bungener, spécialiste du philosophe.
Celui que l'on connait surtout pour ses écrits philosophiques s'est passionné à la fin de sa vie pour la nature et les plantes dans le Val-de-Travers. "Je raffole de la botanique: cela ne fait qu’empirer tous les jours, je n'ai plus que du foin dans la tête, je vais devenir plante moi-même un de ces matins et je prends déjà racine à Môtiers", écrivait-il en 1765.
Jean-Jacques Rousseau a alors emmagasiné un savoir encyclopédique avec une rigueur scientifique avant-gardiste, qui lui permet de rejoindre aujourd'hui la collection des Herbiers de Genève (CHG), l'une des plus importantes au monde, où six millions d'échantillons s'étalent sur quelque 50 kilomètres d'étalages.
De l'élite au public
"Les grandes familles protestantes de Genève se sont beaucoup penchées sur la médecine, la pharmacie et la botanique et avaient suffisamment d'argent et de réseaux pour pouvoir acquérir des échantillons du monde entier", note Nathalie Rasolofo, collaboratrice scientifique aux CHG.
Pour sa préservation, l'ouvrage passera un mois dans une bulle de plastique sans oxygène avant d'être présenté au public le 1er décembre. "On attend avec impatience de pouvoir le faire entrer dans la collection et surtout de le présenter au public. C'est ça aussi l'objectif d'une telle pièce", s'enthousiasme Martin Callmander.
Autrefois destiné à l’élite, l'herbier s'offrira ainsi à la vue de toutes et tous, prolongeant, près de trois siècles plus tard, la mission qui tenait tant à cœur de Jean-Jacques Rousseau: sensibiliser aux beautés de la nature.
Reportage TV: Delphine Misteli
Texte web: Pierrik Jordan