Patrick Chappatte: "La défense de la liberté d'expression est plus forte aujourd'hui qu'il y a dix ans"
Il y a dix ans, dans la foulée du 7-Janvier 2015, le président de la Fondation Freedom Cartoons avait évoqué un "11-Septembre des dessinateurs de presse". Une vision qui se confirme une décennie plus tard, selon lui.
"Ça a été le choc d'un précédent. Et un précédent, on ne peut pas le défaire. C'est entré dans nos consciences et dans la conscience collective, ça a totalement ébranlé le monde du dessin de presse, de la satire politique et du journalisme."
Mais Patrick Chappatte le rappelle, ces attentats ont d'abord et avant tout été un crime contre des personnes. "Des gens magnifiques, humanistes, créatifs, adorables, qui ont été assassinés froidement. Il faut juste le rappeler, quand on a toutes ces discussions" sur les causes et les conséquences de ce drame.
"On a fait du chemin collectivement"
Et alors que l'islam et les musulmans ont largement été pointés du doigt depuis ces attentats, le dessinateur souligne que ces actes terroristes sont politiques avant d'être religieux. "Moi, ce n'est pas la religion qui m'intéresse, c'est la politique. Quand l'islamisme est politique, quand il fait des revendications et des demandes sur la société, le sujet devient politique. Et l'acte terroriste, évidemment, est éminemment politique, performatif. Il veut nous terroriser et nous paralyser. C'est sa définition même", analyse-t-il.
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Ainsi, dans la foulée, "il y a eu une terreur, une peur collective, on n'est plus aussi innocents", note-t-il. "Mais je pense qu'en dix ans, on a aussi fait du chemin collectivement. D'ailleurs, il y a des sondages qui le montrent, la défense de la liberté d'expression, de la caricature même, est plus forte aujourd'hui qu'il y a dix ans. Donc, je pense qu'il se passe quelque chose. Vous savez, la terreur paralyse, mais la peur fait bouger. Finalement, le meilleur antidote, c'est l'action et le courage."
D'autres formes de pression
Mardi, Chappatte a pourtant publié en Une du Temps un dessin qui suggère que la défense de la liberté d'expression et la solidarité de 2015 se sont estompées. Invité à commenter ce dessin, il précise sa vision: "En dix ans, il s'est passé bien des choses. On voit d'autres formes de pressions, beaucoup moins mortelles, heureusement. On a vu monter la pression de la société à travers les réseaux sociaux, où il y a de plus en plus de susceptibilité et des demandes de censure."
"Mais moi, ça ne me gêne pas que les gens soient offensés, ça fait partie de l'humour. L'humour est un frottement", poursuit-il.
On voit remonter la forme la plus classique de pression, qui est la censure du pouvoir. Je pense que c'est quelque chose qu'on va voir de plus en plus
Selon lui, le problème vient donc, là encore, de facteurs politiques. D'une part, face aux pressions, "les rédactions, mais aussi les gouvernements et les institutions, ont de la peine à réagir. Elles ont plutôt tendance à paniquer", déplore-t-il.
"Et puis évidemment, la presse est économiquement affaiblie", poursuit-il. "C'est un autre facteur de pression sur le dessin de presse. Enfin, on voit remonter la forme la plus classique de pression qui est la censure du pouvoir. Et ça, je pense que c'est quelque chose qu'on va voir de plus en plus."
Le Genevois ancre donc son combat dans la défense du "principe fondamental" de la liberté d'expression, celui de défendre l'expression d'idées avec lesquelles on est en désaccord. "On voit une certaine gauche qui ne défend la liberté d'expression que de ceux qui sont du même avis. Et en face, ce thème est de plus en plus utilisé comme un slogan de l'extrême droite pour faire passer des idées qui sentent mauvais de la bouche."
Propos recueillis par Philippe Revaz
Texte web: Pierrik Jordan