Dans le canton de Genève, il y avait encore 24 cinémas en 2003, il n'y en a plus que 16. Au centre-ville, le Ciné 17 et le Broadway sont quasiment à l'abandon.
Et le phénomène ne se limite pas à Genève. Le Corso, à Fribourg, a fermé ses portes au mois de mai. A Lausanne, l'historique Capitole a vu sa survie assurée de justesse grâce à un rachat par la municipalité en juillet. Et un peu partout, ceux qui restent ne sont pas bénéficiaires, voire en sursis.
Surtout en ville
"C'est avant tout les villes qui ont été touchées ces dernières années", explique Laurent Steiert, de la Section cinéma de l'Office fédéral de la culture. "L'arrivée des multiplexes a été le coup de grâce pour bon nombre de cinémas à salle unique", les plus difficiles à rentabiliser. Il leur faut en effet le même personnel que pour un cinéma à deux ou trois écrans.
Pour Marc Pahud, président de l'association des cinémas vaudois, ces établissements peinent surtout à obtenir les films "qui rapportent" auprès des distributeurs. "Les grands groupes accaparent le marché et les autres doivent se contenter de productions qui attirent moins de monde." A Genève, face à cette concurrence, ceux qui avaient une ligne grand public ont été les premiers à ne pas se relever, souligne Laurent Dutoit, programmateur pour plusieurs cinémas indépendants. Mais tous les petits cinémas, quoi qu'ils montrent, sont de plus en plus logés à la même enseigne.
L'aimant des multiplexes
"Les multiplexes se battent sur tous les terrains, aussi sur celui des films d'auteur", souligne Marc Pahud. Quand bien même ils parviennent à obtenir les copies souhaitées, la partie n'est pas gagnée. Effet de mode oblige, les multiplexes semblent aimanter les spectateurs. A Lausanne, un même film présenté dans un cinéma indépendant fait trois fois moins d'entrées qu'à Cinétoile et cinq à six fois moins d'entrées qu'au multiplexe du Flon.
"Le public a un côté grégaire, il va là où il y a du monde. Aujourd'hui, les films sont accessibles partout: télévision, internet, DVD. Aller au cinéma est devenu un événement social plus que culturel, on y va pour rencontrer des gens. Vu sous cet angle, un cinéma à salle unique est jugé tristounet", note Marc Pahud.
Délicat passage au numérique
Et les perspectives d'avenir sont loin d'être roses. Selon René Gerber, directeur de l'Association des exploitants et distributeurs de films Procinema, le marché des multiplexes, huit salles ou plus, est aujourd'hui saturé. Toutes les grandes agglomérations ont le leur. Mais il y a encore un fort potentiel pour des regroupements entre trois et six salles dans des agglomérations moins importantes.
A cette concurrence qui va continuer de prendre de l'ampleur s'ajoute une nouvelle menace: le passage au numérique. A l'Office fédéral de la culture, le scénario le plus pessimiste table sur la disparition de 30% des salles du pays. L'installation du nouveau système coûte entre 120'000 et 150'000 francs. Sans aide des pouvoirs publics, beaucoup ne parviendront tout simplement pas à débourser un tel montant.
L'OFC veut aider à préserver la variété et planche actuellement sur un système de subventions. "Il ne s'agit pas de financer directement les infrastructures, mais de donner des primes à ceux qui ont une programmation diversifiée. Si possible à partir de 2011", indique Laurent Steiert.
ats/boi
Un plus grand attachement dans les villages
Dans les villages, les cinémas ont dû trouver un moyen de survivre il y a bien des années déjà, au moment de l'arrivée de la télévision et de la vidéo.
Bon nombre de salles encore en activité aujourd'hui ont été sauvées par la population.
A Sainte-Croix (VD), les habitants se sont mobilisés en 1998 pour éviter que le bâtiment des années 1930 ne soit transformé en hangar à caravanes. Et ils en ont fait une coopérative.
Depuis lors, le cinéma du village est devenu bien plus qu'un cinéma. "C'est un lieu convivial, à l'écoute de son public et pour lequel les gens font le déplacement", raconte son exploitante, Adeline Stern.
On peut y voir un film grand public et un film estampillé "art et essai" chaque semaine, mais aussi manger, participer à des débats ou à des rencontres avec des personnalités du septième art.
La coopérative met un point d'honneur à rémunérer toutes les personnes qui y travaillent. "Avec 12'000 entrées par an et l'aide de la commune pour l'entretien du bâtiment, on tourne ric-rac. C'est mon salaire qui fait le tampon", note Adeline Stern.
Dans le Jura bernois, le système coopératif est très répandu. "Il y a un cinéma tous les dix kilomètres et seulement deux de type commercial dans le lot", explique Daniel Chaignat, président de la coopérative regroupant le Cinématographe de Tramelan et le Royal de Tavannes.
Cette dernière mise aussi sur un mélange de films grand public et de films d'auteur en version originale. Ici, tout le monde est bénévole. Seul l'opérateur reçoit 20 francs par soirée et le responsable 2000 francs par an.
"Ca marche bien. Ne pas payer de salaire, ça fait toute la différence", ajoute Daniel Chaignat. Un fonctionnement qui a permis de préserver des salles importantes, dans lesquelles "chacun reconnaît son cinéma."