Récompensé à plusieurs reprises avec notamment un César pour son film "Gainsbourg, vie héroïque" et un autre pour le film d'animation "Le chat du rabbin", ce touche à tout vit d'ailleurs une rentrée bien chargée, avec une bande dessinée accompagnée d'une exposition à Paris sur Salvador Dali, un carnet de dessin sur six mois de psychanalyse ou encore une nouvelle adaptation en film 'live' (avec des acteurs) du "Chat du rabbin".
"Quand je ne pratique pas, je suis en manque"
"Ce sont vraiment les hasards des publications et parfois des choix éditoriaux de sortir tout à la rentrée. La réalité c'est que dans chacune de mes journées, j'écris, je dessine... Sauf en période de rentrée littéraire où je donne des interviews", explique en préambule Joann Sfar dans le journal de 12h30.
"Je n'ai pas du tout le sentiment d'être suractif. J'écris et je dessine beaucoup, avec plaisir (...) Je me suis mis à dessiner enfant parce que ça m'apaisait. Et c'est resté ma drogue au sens littéral du terme. Quand je ne pratique pas, je suis en manque. En réalité je ne fais pas de différence entre le dessin et l'écriture. Lorsque je pratique, ça met le réel à distance..."
Oublier le lecteur
Son quatrième roman "Comment tu parles de ton père" (Albin Michel), Joann Sfar le consacre à André Sfar: "un séducteur méditerranéen assez sérieux, assez grave, qui est devenu religieux au décès de ma mère et qui ne savait pas bien où mettre cette religion... et qui l'a mise sur mes épaules."
Avec à la clé une écriture plus libre: "les premiers livres que j'ai publiés étaient pleins de mon envie de montrer que je savais écrire. J'essayais de montrer que je pouvais faire de vraies phrases, puisque j'avais le complexe de l'auteur de bandes dessinées. Maintenant plus du tout (...) Il me semble que j'écris pour moi et c'est peut-être le meilleur service que l'on puisse rendre au lecteur, celui de l'oublier."
Malgré cela, l'auteur ne cache pas avoir eu une certaine appréhension avant de publier cette lettre d'amour à son père sous forme de roman, étant donné que son éditrice l'avait incité à conserver les passages tristes". "C'est vrai qu'il raconte des choses très intimes dans une modalité un peu différente de mes carnets autobiographiques... Il y avait aussi une manière, certainement pas de régler mes comptes, mais en tout cas de faire le deuil de mon père. C'est tellement banal. Toujours est-il que ça m'a fait du bien de me débarrasser de cela".
Sa liberté de ton face à l'autorité parentale
"Je ne revendique ni la sincérité ni la pureté. J'ai juste envie de faire un chouette livre, même s'il traite d'un sujet pas très drôle", détaille l'artiste qui confie encore son plaisir à entendre des gens ayant lu le livre lui parler de son père et de son grand-père comme s'ils les connaissaient: "Et là, je les ressens vivants, c'est très émouvant".
Sa relation avec son père par le prisme de la religion, il l'évoque aussi par cette anecdote: "j'ai toujours dit ce que je pensais. Mais lors de ma première grosse interview publiée dans Télérama, au détour d'une phrase, j'ai dit que je n'étais pas très religieux. Et mon père était fou de rage, il m'a appelé de Nice en disant qu'il était la honte de toute la communauté juive de Nice par ma faute. Et alors moi, énorme faux-cul, j'ai dit: 'Papa, tu t'imagines bien que je n'ai jamais dit cela... c'est cette presse de gauche qui a inventé ça'."
Mais devant l'insistance de son père, Joann Sfar appellera finalement Télérama pour demander un démenti. "Ils ont beaucoup ri. Évidemment, ils n'ont jamais publié le démenti en question où je disais en fait que j'étais très croyant, ce qui aurait été un mensonge. Mais j'ai toujours parlé librement de religion, et je me suis fait toujours engueuler par mon père après."
Abandonner le poids de certaines traditions religieuses
Et parler librement de religion, malgré le contexte tendu régnant actuellement en France, le Niçois n'y a pas renoncé: "ce que j'ai vu depuis mon enfance chez les juifs, j'aimerais beaucoup le voir chez les musulmans. Je vois beaucoup de gens chez les juifs qui ont dit il y a 20 ans, 30 ans : 'tous ces trucs traditionnels ça suffit'. Ce n'est pas qu'il faut les abandonner, mais il faut trouver quelque chose pour vivre ensemble", explique-t-il .
Et c'est au bon sens qu'il en appelle quand sont évoqués l'attaque du 14 Juillet à Nice, sa ville, et le débat qui a suivi sur l'affichage de signes d'appartenance religieuse: "il est évident qu'une tenue religieuse, un mois après les attentats, a un sens particulier sur la plage de Nice. Il n'est pas question d'interdire, ce que je trouve ridicule. Il est question de se désoler que les gens ne s'en rendent pas compte eux-mêmes que c'est un drôle de message à envoyer à une population qui est traumatisée à un niveau qu'on ne peut pas imaginer..."
Dans ce contexte, l'auteur se montre quelque peu désabusé: "je ne vois pas de grands signes positifs. Je sais qu'il ne peuvent pas venir des politiques parce qu'ils sont loin de ces problèmes. Il va y avoir des bonnes nouvelles mais on sera surpris par l'endroit d'où elles vont venir. Je dois dire que je rêve de tout mon coeur et depuis longtemps que ces bonnes nouvelles viennent du monde musulman. C'est un rêve qui est rarement réalisé, je le regrette", conclut Joann Sfar.
Propos recueillis par Karine Vasarino/jzim