Frankenstein, créature des ténèbres en pleine lumière

Grand Format

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Introduction

Retour sur cinq créatures parmi les plus emblématiques de Frankenstein dont le cinéma s'est emparé dès 1910 avec succès, entre horreur, humour et fantaisie.

Frankenstein est un mythe

Frankenstein est un mythe. Ou plutôt, si l’on veut être tout à fait exact, ce n’est pas le docteur, apprenti sorcier, créateur de vie monstrueuse, Prométhée moderne, que l’on reconnaît aujourd’hui, mais son invention.

Frankenstein, c’est surtout une créature qui entre dans la légende dès que le cinéma s’en empare en 1910, adapté par J. Searle Dawley. Car si, dans le roman de Mary Shelley (17 ans), écrit en 1816, c’est le processus de création qui est mis en avant, le cinéma, lui, va s’emparer du monstre pour en faire une figure récurrente, parmi les plus célèbres de notre imaginaire collectif.

Conçus à partir de morceau de cadavres, revenus à la vie grâce à une machinerie alimentée par la foudre, les créatures développent très vite des caractéristiques humaines.

> > 10 choses à savoir sur Frankenstein

Les monstres du docteur Frankenstein sont capables d’aimer, de réfléchir à leur place dans le monde, et surtout de souffrir et de faire souffrir.

Plus humains que certains humains, ils errent sur terre en morts-vivants, expérimentant l’existence des exclus, des marginaux, des dénigrés, des refusés, sans jamais trouver leur place.

Frankenstein et son monstre, c’est avant tout une histoire d’amour et de désamour, le savant ne parvenant pas à aimer sa créature.

Retour sur cinq créatures parmi les plus emblématiques que nous a offert le cinéma.

"Frankenstein", James Whale (1931)

Le comedien Boris Karloff dans le rôle de Frankenstein dans le film "La fiancée de Frankenstein" de James Whale, 1935. [leemage - Isadora/Leemage]
Le comedien Boris Karloff dans le rôle de Frankenstein dans le film "La fiancée de Frankenstein" de James Whale, 1935. [leemage - Isadora/Leemage]

> > Bande-annonce du "Frankenstein" de James Whale

En 1931, le monde est en crise. La Grande Dépression jette la population américaine sur les routes, et le cinéma trouve un exutoire à la désespérance en projetant des monstres sur grand écran.

Dans les studios Universal, le producteur Carl Laemmle Junior, désireux de réitérer le succès du "Dracula" de Tod Browning, avec Bela Lugosi, opte pour une autre histoire de mort vivant : ce sera l’adaptation du roman de Mary Shelley. La réalisation est confiée à un metteur en scène anglais, James Whale.

Avant James Whale, le monstre du Docteur Frankenstein a fait trois apparitions à l’écran. Notre réalisateur, en reprenant le personnage, lui donne une dimension humaine jamais vue. La créature, perdue, tue pour se faire aimer de son créateur. On est dans le pathétique teinté d’un humour tout britannique, James Whale n’étant pas avare de touches d’absurdes ou de nonsense.

Pour incarner le docteur, James Whale choisit Colin Clive, et pour le monstre, Boris Karloff. Avec Boris Karloff, James Whale va ancrer à tout jamais l’iconographie de la créature.

Depuis le Frankenstein de James Whale, on n’a plus jamais représenté autrement la créature, d’autant que l'interprétation de Karloff, basée sur son physique hors-norme de monstre torturé, reste encore un modèle éclipsant toutes les autres prestations.

"Frankenstein s’est échappé", Terence Fisher (1957)

Ce film est réalisé par la Hammer, maison de production anglaise qui incarne la renaissance moderne de ce cinéma de genre horrifique. Dans les années 60, la Hammer va littéralement se spécialiser dans le fantastique gothique, ressuscitant sur les traces d’Universal Pictures les monstres mythiques de la littérature du XIXe siècle. C’est Frankenstein qui ouvre les feux en 1957.

Terence Fisher se charge de l’adaptation et met en scène Peter Cushing et Christopher Lee. Le succès du film permet à la Hammer d'obtenir les droits d'Universal Pictures sur les classiques de la littérature gothique.

Cette première production sera suivie du "Cauchemar de Dracula" l'année suivante, puis d’autres films qui assurent la consécration des studios tels que "La revanche de Frankenstein" en 1958, et "Le Chien des Baskerville" en 1959. De 1957 à 1967, tous les classiques de l’horreur sont portés à l’écran par la Hammer.

Pour se démarquer des films d’Universal Pictures, la Hammer mise sur plusieurs ingrédients. Outre le cachet particulier des décors (les films étant majoritairement tournés dans les studios Bray), pour la première fois meurtres et épanchements de sang sont montrés de façon réaliste, un parti-pris qui choque les critiques et séduit le public. Sans oublier l’incontournable touche d’érotisme, la Hammer employant souvent de belles actrices, parmi lesquelles Hazel Court, Barbara Shelley et Veronica Carlson que les réalisateurs font déambuler en nuisette dans les catacombes.

En 1957, "Frankenstein s’est échappé" initie toute une vague de cinéma d’horreur marqué par la couleur.

Affiche du film "Frankenstein s'est échappé" de Terence Fischer, 1957. [Collection Christophel - Warner Bros /Hammer Films /Collection ChristopheL]
Affiche du film "Frankenstein s'est échappé" de Terence Fischer, 1957. [Collection Christophel - Warner Bros /Hammer Films /Collection ChristopheL]

"Chair pour Frankenstein", Paul Morrissey (1973)

A partir du moment où la créature et son créateur entrent dans la culture populaire, tout le monde s’en empare. Les séries B et Z sont nombreuses. On utilise le monstre dans tous les genres possible. Frankenstein affronte l’entier du bestiaire fantastique, de Dracula à la momie, des loups-garous, aux cyclopes, aux sirènes, à Mr. Hyde, en passant par King Kong et par des aliens. Le monstre s’aventure au Far-West, au Mexique, dans l’espace, et envahit les films érotiques.

En 1973, l’artiste américain, père du Pop Art, Andy Warhol, s’empare du mythe. Lui et sa clique se prennent d’affection pour les grands mythes du fantastique. Ils décident de livrer leur propre version de Frankenstein. Avec son comparse, qui signera réellement le film, Paul Morrissey, Andy Warhol propose une relecture trash, malsaine, qui ne recule devant aucun vice pour parfaire sa réputation de grande farce morbide et outrageusement sanglante. Aux manettes également, Anthony Dawson, alias Anthonio Margheriti, grand pourvoyeur de séries B horrifiques italiennes.

Le film, en couleur et en 3D, est présenté avec un somptueux relief. Il fait forte impression. La bande de Warhol y va fort et se permet de mêler gore et sexe d’un mauvais goût outrancier. Le film gagne ses galons de cult-movie.

Un plan de "Chair pour Frankenstein", de Paul Morrissey, 1973. [The Picture Desk - C.C.C. /The Kobal Collection]
Un plan de "Chair pour Frankenstein", de Paul Morrissey, 1973. [The Picture Desk - C.C.C. /The Kobal Collection]
Affiche de "Chair pour Frankenstein" de Paul Morrissey, 1973. [Photo12 - Compagnia Cinematografica Champi /Archives du 7eme Art/Photo12]
Affiche de "Chair pour Frankenstein" de Paul Morrissey, 1973. [Photo12 - Compagnia Cinematografica Champi /Archives du 7eme Art/Photo12]

"Frankenstein Junior", Mel Brooks (1974)

Il existe de très nombreuses parodies du mythe de Frankenstein. Le monstre est tellement iconique et raconte tellement de choses sur la fonction du créateur qu’il est indissociable de notre époque moderne. Les créateurs, cinéastes ou artistes, reprennent le mythe à leur compte et s’amusent d’un monstre et de son géniteur, en recréant, en inventant à chaque fois une histoire de l’exclusion et de la monstruosité.

 La parodie est le volet humoristique de l’horreur. Par la dérision, en jouant des codes établis, et parfaitement ancrés dans l’imaginaire social, les satires racontent une autre histoire, parfois plus triste et plus centrée sur un monstre décalé que dans le roman de Mary Shelley. En 1974, le cinéaste américain Mel Brooks propose sa version de Frankenstein. C’est une parodie respectueuse, en noir et blanc, reprenant l’iconographie des films de James Whale en 1931 et 1935.

Frankenstein Junior est avant tout une satire hilarante, jouant de toutes les facettes de la comédie : comique de répétition, scènes burlesques, parodie, humour trash. Mais ce qui marque et fait réellement aimer le film, c'est que ce pastiche n’est pas que potache. C’est aussi un très bel hommage aux classiques de l’horreur.

"Frankenweenie", Tim Burton (2012)

Affiche de "Frankenweenie" de Tim Burton, 2012. [The Picture Desk - Walt Disney Pictures / The Kobal Collection]
Affiche de "Frankenweenie" de Tim Burton, 2012. [The Picture Desk - Walt Disney Pictures / The Kobal Collection]

A partir du moment où le cinéma d’animation et les films pour enfants s’emparent de la créature et de son créateur, le mythe se renverse. Nostalgie, amour, amitié, tristesse, dépassement de soi, partage et émotions sont au programme. En 2012, le réalisateur américain Tim Burton propose aux studios Disney l’adaptation de son court-métrage de 1984. "Frankenweenie" est une fantaisie macabre et tendre. Le monstre est un petit chien qui ne fait plus peur à personne.

Rafistolé, rapiécé, le corniaud, revenu à la vie, reste joyeux, agite sa queue qu’il perd dans un trop grand élan de liesse. Sa truffe est crépitante d’électricité permanente. Le film est réalisé en stop motion, avec des personnages en Plastiline. Pour le réalisateur Tim Burton, qui a déjà utilisé cette technique sur le Noël de Monsieur Jack, il y a de la beauté dans l’animation image par image, une énergie particulière. Donner vie à un objet inanimé reflète le thème de Frankenstein. Le réalisateur pioche dans ses souvenirs d’enfance : son chien et lui, leur amour, et son ambition à devenir chercheur en médecine.

Dans "Frankenweenie", c’est surtout l’hommage au genre, en mode humoristique. Comme Mel Brooks l’avait fait avec Frankenstein Junior, Tim Burton choisit le noir et blanc, plus conforme aux émotions qu’il veut susciter.

Evénements autour de Frankenstein

Cinéma

-Cycle Frankenstein, tous les lundis jusqu'au 19 décembre 2016, Ciné-club universitaire, Genève.

-Rétrospective des films de Frankenstein durant tout le mois de janvier 2017,  Cinémathèque Suisse, Lausanne.

Collloque

"Frankenstein, le démiurge des lumières", Université de Genève, du 7 au 10 décembre 2016.

Exposition

"Le Retour des ténèbres, l'imaginaire gothique depuis Frankenstein", Musée Rath, Genève. Jusqu'au 19 mars 2017.

Radio

"Travelling", 22 janvier 2017, analyse du film "La fiancée de Frankenstein", James Whale, 1935.

"Nectar", 1er décembre 2016, Frankenstein, créature des ténèbres en pleine lumière.

Frankenstein sur la RTS

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Crédits

Textes: Catherine Fattebert

Réalisation web: Olivier Horner