Remontons à Pline l’Ancien, dans son "Histoire Naturelle", le philosophe grec cite l’exemple de Piraïkos, un grand peintre héllène. Il était connu à la ronde pour ses reproductions très réalistes de victuailles. Une autre légende raconte que les raisins du peintre Zeuxis étaient si parfaitement peints que même les oiseaux se faisaient prendre au piège et tentaient de les picorer.
Si on fait un saut spatiotemporel, on retrouve la nature morte très en vogue dès le milieu du XVIème au Pays Bas, pays de la réforme par excellence. La peinture se voit alors amputée d’un genre majeur, la scène biblique. En effet, toute représentation religieuse étant considérée comme iconoclaste, les artistes s'emparent la nature morte pour l’investir de symboles…
S’ensuivent des œuvres silencieuses aux mille et un détails qui racontent des vanités - le temps qui passe à l’instar de ce fruit un peu blet -, ou des préceptes religieux - cette écorce de citron se déroulant sur une nappe blanche pouvant incarner l’amertume de l’existence due à la chute de l’homme.
Les peintures intensément réelles de Caravage
A cette époque, l’Italie n’est pas en reste, même si c’est plutôt le vent de la contre-réforme qui souffle sur elle. Examinons cette corbeille de fruits de Caravage si intensément réelle qu’on aurait envie de se servir. Le peintre sulfureux scandalisait ses contemporains en disant : "Il me coûte autant de soin pour faire un bon tableau de fleurs qu’un tableau de figures."
Mais encore approchons-nous de ce cardon clair debout, posé à l’encoignure d’une fenêtre, à ses côtés quelques carottes oubliées, une œuvre d’une force exceptionnelle de Zurbaran, un peintre du XVIIème.
On pourrait encore penser à ces pêches à la peau veloutées de Chardin, à la botte d’asperges d’une fraîcheur d’éternité de Manet, ces pommes rouges de Cézanne, bref la liste est infinie.
La cote de la nature morte perdure
La nature morte ou plutôt la nourriture ne perd pas sa cote dans l’art au XXe; dans les années 60, au moment du boum de la société de consommation, certains artistes pop vont la vénérer ou la critiquer, la limite est mince. On lit l’abondance de cette nourriture de masse, dans par exemple la fameuse sculpture de Claes Oldenburg en mousse latex et carton qui rejoue un Hamburger affalé maousse.
Dans la foulée, ces sérigraphies de soupes Campbell de Warhol, cette sculpture hyperréaliste de Duane Hanson représentant une femme poussant un caddie débordant.
Et puis, à l’opposé de la consommation, il y a des artistes très existentialistes qui vont, à l’instar de Michel Journiac, se consommer, autrement dit, faire du boudin avec son propre sang qu’il va offrir au public convié à sa fameuse Messe pour un corps !
Daniel Spoerri initiera ce qu’on appelle le "eat art", littéralement, l’art que l’on mange, sauf que lui, il collectionnera les reliques de ce qui vient d’être mangé. Dans ses tableaux pièges, il fixe à jamais assiettes sales, cendrier rempli de mégots, verres maculés de vin rouge séché sur le plateau de la table. Il sort de table en emportant ces plateaux qu’il accroche comme un tableau au mur, une sorte d’archéologie du présent qui passe par le fait de se mettre à table.
Robe de chair et marqueterie de charcuterie
Tout au long du XXe, les exemples se suivent et ne se ressemblent pas, la robe de chair de Jana Sterbak (inspirant une certaine Lady Gaga bien des années plus tard), ou les coiffes en aspic comestibles signés de la photographe Natacha Lesueur, les marqueteries de charcuterie de Wim Delvoye, ce labyrinthe de sel de Yamamoto Motoï, les reproductions de chefs d’œuvres avec des aliments, la méduse faite en spaghettis bolo de Vik Muniz.
Ça n’en finit pas. La nourriture est non seulement un besoin mais elle fait partie aussi de nos invariants, pas un hasard si comme le sexe, la mort, la nourriture soit un sujet central pour l’art.
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Florence Grivel/olhor