L'édition 2017 des Emmy Awards a fait un triomphe à "La Servante écarlate" mais aussi à "Big Little Lies", deux productions TV adaptées de romans contemporains écrits par des femmes, et portés par des héroïnes complexes.
Le premier, "La Servante écarlate", roman dystopique de la canadienne Margaret Atwood (1985), décrit une société dominée par la religion qui transforme les femmes fertiles en esclaves sexuelles.
Le second, "Big Little Lies", de l'australienne Liane Moriarty (2014), ausculte la vie quotidienne de cinq mères californiennes, tiraillées entre leur désir d'idéal et la colère qui gronde en elles depuis longtemps. Un mélange explosif qui trouvera sa résolution dans un final éblouissant, à la fois tragique, soulageant et ironique.
Casting cinq étoiles
Quand Madeline, Jane et Céleste se lient d'amitié par l'intermédiaire de leurs enfants, elles ne se doutent pas qu'elles vont se retrouver au coeur d'un tragique accident qui fera jaser toute la communauté de Monterey, cette ville au bord du Pacifique où vit la riche bourgeoisie américaine, celle des maisons d'architectes faites sur mesure, des dressing-rooms plus grands qu'une boutique de la cinquième Avenue et des baies vitrées panoramiques.
Mini-série en sept épisodes produite par HBO, "Big Little Lies" se distingue d'abord par un casting luxueux: Nicole Kidman, récompensée d'un Emmy, Reese Witherspoon, Laura Dern et Shailene Woodley, auquel il faut ajouter Alexander Skarsgard, primé dans un rôle qui devrait le marquer à vie. Le scénario ingénieux et addictif de David E. Kelley, ainsi que la mise en scène toute en élégance du canadien Jean-Marc Vallée ("Dallas Buyers Club et "WIld") justifient cette récolte de récompenses: cinq en tout.
Le suspens est ailleurs
Dès le premier épisode, on sait grâce à une succession d'interrogatoires de police, qu'un drame s'est produit au cours d'une soirée déguisée: accident ou homicide? Qui est la victime? Et qui sont le, ou les, responsables? La série raconte les mois qui précèdent cet événement. Mais si la catastrophe est immédiatement annoncée, ce n'est pas le suspens de l'enquête qui tient en haleine mais bien la complexité des relations entre les personnages et l'ambivalence des situations.
De mieux en mieux
Contrairement à de nombreuses séries qui donnent tout au début et qui se répètent pour maintenir l'attention, "Big Little Lies" s'améliore au fil des épisodes. Le premier épisode est de loin le moins accrocheur. Normal, il s'agit de montrer l'image que les femmes veulent renvoyer d'elles-mêmes: bonnes mères, gentilles voisines, épouses parfaites. On s'y ennuie comme on pouvait s'ennuyer au bout de la troisième saison de "Desesperate Housewives".
La caméra devient scanner
Mais au fil des épisodes, la caméra-selfie devient scanner: elle voit au-delà des apparences, témoigne de l'équilibre fragile des familles, s'immisce dans la vie de couple, se fait confidente de leur sexualité, explore les conflits domestiques et devient le sismographe de la colère jamais exprimée de ces femmes qui, sous la pression sociale, se doivent de ressembler aux autres, tout en faisant mieux que les autres.
Violence domestique
Dans cette configuration, le personnage le plus intéressant est celui joué par Nicole Kidman, avocate qui a cessé d'exercer pour s'occuper de ses jumeaux. Cette femme admirée et enviée de tous vit un calvaire au quotidien, avec son banquier de mari, possessif, exclusif et violent. Afin de maintenir son statut, elle fait miroiter son bonheur conjugal, se ment à elle-même, trouve mille justifications à ces violences domestiques pour échapper à l'image de la femme battue qui lui fait honte. Rarement le mécanisme de la violence conjugale a été aussi bien exprimé.
Contrastes entre le dedans et le dehors
Contrairement à une tendance qui vaudrait que le glauque soit gage de vérité, "Big Little Lies" explore la violence des hommes, mais plus encore celle des femmes, dans un décor de rêve, jouant habilement des contrastes que permettent les paysages de cette superbe côte californienne. La lumière du Pacifique apparaît alors non pas comme un révélateur mais comme un merveilleux écran aux horreurs qui peuvent s'y produire.
Marie-Claude Martin