Les scandales alimentaires liés à la viande se succèdent, le mouvement antispéciste prend de l'ampleur, les véganes se font entendre de plus en plus, et pourtant.
Et pourtant, 96% des Suisses mangent de la viande, soit en moyenne 51 kilos par an. Isabelle Raboud-Schüle, ethnologue et conservatrice du Musée gruérien de Bulle, y voit d'abord un signe de richesse, une revanche sur la disette.
L’accès à la viande est arrivé avec les Trente Glorieuses. Avant, c'était un article cher, réservé à quelques événements.
Et plus la demande est large, notamment en Asie qui, jusqu'à présent, en consommait modérément, plus la production s'intensifie pour être au meilleur prix, avec tous les risques sanitaires et environnementaux que cela implique.
Animaux virtuels
En même temps, plus nous consommons de poulet, de boeuf ou de cochon, moins nous savons ce que nous mangeons, tant l'animal est sorti de notre cadre naturel. Progressivement, la campagne s'est excentrée, les écuries se sont éloignées des villes, puis les abattoirs, puis les tanneries. La présence des petits animaux disparaît peu à peu.
Désormais, hormis les animaux domestiques, notre connaissance des bêtes passe par les écrans (documentaires, vidéos, films). Quand on ne voit plus les choses, on érige des règles.
Plus notre rapport aux animaux est abstrait, plus il nous faut imprimer dans la loi des repères de ce qui est acceptable ou pas, cruel ou pas, nécessaire, ou pas.
La statistique suisse a de quoi étonner tout de même. Car ceux qu'on entend de plus en plus, ceux qui occupent les médias, ce ne sont pas les omnivores, encore moins les carnivores, mais les véganes.
Alors, à qui s’adresse cette industrie en expansion qui exclut toute provenance animale?
C'est une contestation fondamentale, une remise en question de l'être en société, de ses règles, de ses croyances, de ses usages. Le véganisme pose la question de qui on est.
Pour la conservatrice, manger est un acte primordial qui exprime notre rapport intime avec le monde, c'est à la fois privé et social: c'est prendre quelque chose de l'extérieur et l'incorporer: en ai-je le droit? Que vais-je devenir si je mange du porc? "Notre rapport à la vie y est directement interrogé. Voilà pourquoi les plus gros scandales alimentaires concernent les animaux, et pas les choux-fleurs", dit-elle.
Questions aussi anciennes que le monde
Quand on incorpore quelque chose, qui plus est vivant, cela appelle tout un appareil de la pensée, philosophique, diététique, historique, et désormais biologique pour connaître la souffrance des bêtes, leur sensibilité, leur proximité avec nous. C'est très complexe.
Toutes ces questions varient selon les époques et les lieux, mais elles sont aussi anciennes que notre présence sur terre.
Propos recueillis par Manuela Salvi
Réalisation web: Marie-Claude Martin