- Paru en 1977, "Mars" a bouleversé la littérature alémanique avant de gagner la francophonie par une belle traduction aux Editions Gallimard en 1980, préfacée par un autre Zurichois, Adolf Muschg.
- Livre phénomène, inclassable, classique de la littérature suisse contemporaine, "Mars" a été écrit par un homme de 32 ans atteint d'un cancer généralisé, révolté d'avoir compris trop tard que sa vie fut un gâchis.
- Ce livre a permis à Fritz Angst, dont le pseudonyme Zorn signifie colère, d’universaliser son profond mal-être de jeune homme de la bonne société zurichoise, éduqué… à mort.
Un phénomène littéraire
Chronique de la bourgeoisie
Un seul livre, qui plus est posthume, aura suffi pour que Fritz Zorn passe à la postérité.
Il s'appelait Angst ("angoisse en allemand") et a pris comme nom de plume Zorn qui signifie "colère". Tout le récit de ce jeune homme issu de la bourgeoisie dorée zurichoise, atteint d'un cancer à 31 ans, tient à ce basculement linguistique. "Mars" est plus qu'un témoignage, c'est un cri.
"Attraper le cancer est la chose la plus intelligente que j'ai faite. Cela m'a permis d'écrire mon histoire familiale et de dire ma vérité".
Tiré à 2000 exemplaires, et préfacé par un autre Zurichois, Adolf Muschg, "Mars" s'impose comme un livre majeur du dernier tiers du siècle dernier, alors que personne n'y croyait et que la critique était mauvaise. Son succès a largement dépassé les frontières.
Pourfendeur du conformisme helvétique
L'harmonie qui tue
Zorn parle de son enfance, "heureuse et sans possibilité de donner son opinion". La devise de sa famille?
Etre en harmonie ou ne pas être
Le mot "non", par exemple, n'a jamais été prononcé puisque tout le monde s'entendait pour avoir la même opinion. Le conformisme n'étant pas génétique, Zorn dit qu'il a été éduqué à le devenir, et donc aussi à en mourir.
C'est contre cette bourgeoisie de la côte d'or zurichoise, bourgeoisie d'affaires, éduquée mais complètement aveugle à sa violence institutionnelle et symbolique, que Zorn va déclarer la guerre. Pas frontalement mais par en dessous, par l'ironie la plus terrifiante: la neutralité apparente.
La perfection mortifère
Zorn a analysé avec une lucidité désespérante les dérives de son milieu familial dans lequel le bonheur et l'harmonie obligatoires rendaient impossibles l’expression des dissonances, des conflits, bref de la vie elle-même.
La mauvaise conscience de la Suisse
Dimension universelle
S'il est très dur avec sa famille, Zorn l'est tout autant avec la Suisse qui durant le 20e siècle a construit l'image d'une nation propre, ordonnée et harmonieuse.
Mais pour parvenir à cette unité, dit-il, la société toute entière devait respecter un code de conduite fondé sur des valeurs morales inflexibles. Et ceux qui ne s'y pliaient pas faisaient l'objet de décisions administratives arbitraires, alors même qu'ils n'avaient pas commis aucun crime.
Métaboliser son malaise
Zorn a été la mauvaise conscience d'un pays qui se rêvait parfait. Mais le succès de «Mars» s’explique surtout par sa dimension universelle. Loin de s’enfermer dans sa singularité zurichoise, Zorn a métabolisé son malaise, son sentiment d’inadaptation au monde et en a tiré un récit bouleversant et grinçant.
Un ironiste féroce
Objet littéraire non identifié
Paru en 1977, et traduit en français en 1980, "Mars" a d'abord été boudé par la profession, gens de lettres parisiens et littérateurs qui ont eu des réactions très condescendantes à son endroit. Plus tard, certains d'entre eux reconnaîtront qu'ils sont complètement passés à côté de quelque chose de bien plus puissant que ce qu'eux-mêmes pouvaient réaliser.
Un corps à corps douloureux
Un livre d'éveil
Enfermé dans un corps dont il avait honte, Zorn a souffert de son manque de sensualité et de son incapacité à se lier affectivement et charnellement avec les autres, en particulier avec les femmes. Cette dimension érotique et vitale lui a tellement manqué que son cancer a été vécu comme la seule réussite de sa courte existence.
Zorn va plus loin encore lorsqu'il dit que les réalités du corps les plus simples lui inspiraient de la honte, et parfois du dégoût. Sa pruderie victorienne le porte même à être gêné par le mot "corps".
L'écrivain français Arnaud Cathrine explique que la première fois qu'il a lu "Mars", il a été choqué par sa violence et son implacable "Famille, je vous hais". A la seconde lecture, après s'être plongé dans l'oeuvre de la psychanalyste suisse Alice Miller, il y a vu un livre de bataille et d'éveil à la vie. Il dit même avoir beaucoup ri.
Humour du désespoir
L’auto ironie est la marque des grands écrivains qui – dans une veine plus germanique – ont porté leur plainte dans l’humour: Kafka, Musil, Kraus, Bernhard, tous des écrivains en colère.