Tout a démarré à l'Université de Perth (UWA), dans l'ouest de l'Australie, où la chercheuse Jane Lydon a contacté notamment la responsable du patrimoine photographique au Musée du Quai Branly à Paris, Christine Barthe. "Elle avait le projet de mettre en commun les ressources photographiques de plusieurs musées européens qui avaient des collections plus ou moins complémentaires", explique la responsable française dans l'émission Tout un monde.
Dans un premier temps, les institutions ont construit une plateforme d'échanges pour comparer leur matériel. Certaines sont allées plus loin en développant des projets de recherche spécifiques sur le terrain, qui ont permis de mieux documenter les images et d'avoir le retour des populations concernées. "Du coup, on a récupéré énormément d'informations, de documentation sur les images", souligne Christine Barthe.
Pas tout à fait d'une restitution
Les originaux des photographies conservées au Musée du Quai Branly sont restés à Paris, mais pour les chercheurs australiens et les populations, leur partage n'a pas de prix. "Les informations à tirer de ces photographies concernent en particulier les Aborigènes laissés en marge des chroniques historiques", note Jane Lydon. Les images montrent qu’ils étaient bien présents et actifs. Vraiment, il y a beaucoup d’informations culturelles et historiques à récupérer.
La spécialiste australienne explique que les Aborigènes utilisent ces photos comme moyen de soigner les effets de la dépossession, de l’assimilation et des générations volées. "C’est donc un moyen de reconnecter les familles et les individus à leur terre."
Le délicat rapport culturel à l'image
Une plateforme permet aux populations de visualiser ces vieux clichés, mais pas n'importe comment. Il y a plusieurs façons d'envisager le rapport aux photographies selon les cultures, rappelle la Française Christine Barthe. "Ce sont des données qui ont été prises en compte dans la mise en place de ce portail."
Ainsi, certaines populations sont averties qu'il y a des images qu'elles peuvent considérer comme ne devant pas être vues par elles-mêmes ou une partie des communautés. "Ce que j'ai compris, c'est qu'il y a des interdits liés au genre, donc des images qui peuvent être vues ou pas par les femmes ou par les hommes, et il y a surtout un interdit par rapport aux images des personnes décédées", souligne la responsable du patrimoine photographique au Musée du Quai Branly. "Je sais que le rapport qu'on a nous aux gens disparus dont on regarde plutôt globalement que c'est intéressant d'avoir le portrait, est relativement inversé dans certains groupes de populations."
Une sorte de profanation?
Certains récits relatent que des populations considèrent la photographie comme une sorte de capture de l'âme. "J'aimerais bien connaître l'origine de ce récit parce que - je l'ai lu dans Balzac - c'est quelque chose qui revient dans les littératures et je me demande toujours si c'est une création de la littérature française ou pas", reconnaît Christine Barthe.
Les photographies sont des objets intéressants parce qu'hybrides, note la chercheuse. "C'est des objets matériels mais c'est surtout des objets qui sont dès le début constitués de quelque chose de très double, il y a un photographe. On ne peut pas dire qu'un tel a pris ça à quelqu'un, on a pris une image mais on n'a pas pris quelque chose. On a créé quelque chose avec deux participants."
Simon Corthay/oang