2018 est l'Année européenne de la culture. Vingt-huit pays participent à cette initiative, dont la Suisse. Cette initiative a pour objectif d’attirer l’attention sur ce qu'apporte le patrimoine culturel à la société.
Entretien avec le président de la Confédération, Alain Berset.
SRF: Qu’est-ce que le patrimoine culturel?
Alain Berset: Le patrimoine culturel est un lien essentiel entre les individus. Il nous permet de nous remémorer notre histoire, nos racines et nous rappelle que nous avons un passé commun, un passé fort, qui est l’une des clefs de notre avenir.
Concrètement, une voiture appartient-elle au patrimoine culturel?
Si une voiture a une signification particulière, elle peut parfaitement appartenir au patrimoine culturel. Selon moi, la définition du patrimoine culturel est très vaste et variée: il peut être matériel, comme dans le cas d’un édifice, ou immatériel, comme dans le cas d’une tradition.
Et le président de la Confédération, appartient-il au patrimoine culturel suisse?
(rires) La fonction probablement, la personne, assurément pas.
Comment cela?
La fonction de président de la Confédération appartient à notre tradition politique. D’après la définition, il ou elle est "primus inter pares" et non chef de l’État. Il s’agit d’un élément essentiel de notre culture politique, qui renvoie à son essence même, c'est-à-dire la démocratie directe, la recherche de consensus ou de compromis; notre culture du débat, absolument fondamentale pour nous. La Suisse, avec ses quatre langues et ses structures fédérales, est riche de débats politiques complexes qui font partie de notre histoire.
Comment savoir ce qui appartient au patrimoine culturel?
Je laisse le soin aux spécialistes d’en apporter la définition exacte. Mais pour moi, le patrimoine culturel a avant tout une dimension humaine: il relie les individus.
Pour moi, le patrimoine culturel a avant tout une dimension humaine: il relie les individus.
C’est une jolie réponse, mais pouvez-vous l'étayer?
Bien sûr! Prenez un bâtiment classé ou inscrit au titre des monuments historiques, le Palais fédéral par exemple. Les gens s’y réunissent depuis plus d’un siècle pour échanger et travailler. Il constitue un symbole de la cohésion suisse, en même temps qu'un imposant témoin de l’histoire architecturale. Il fait partie de notre héritage commun.
Ou le Carnaval de Bâle. Plusieurs milliers de personnes ont participé à la fête célébrant l'inscription du Carnaval de Bâle sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Cette célébration, comme le Carnaval lui-même, créent un lien très concret entre les gens.
Revenons rapidement en arrière: 1975 a été déclarée Année européenne du patrimoine architectural. Il était question d’attirer l’attention sur le patrimoine architectural alors menacé par l’essor économique. Aujourd'hui, c’est au tour de la culture d’être mise en avant. Quelle menace cherche-t-on à mettre en évidence avec l’Année du patrimoine culturel?
L'Europe a connu de profonds bouleversements au cours du siècle dernier: guerres, crises économiques, essor, mouvements sociaux de 1968, création de l'Union européenne. Ces dernières années ont vu se multiplier les débats identitaires à travers l’Europe, ouvrant ainsi la voie aux nationalismes.
Le désir de tisser des liens au-delà des frontières s’est amenuisé.
En attirant cette année l'attention sur le patrimoine culturel, l'objectif est également d’offrir la possibilité de réfléchir à notre passé commun, notre identité culturelle commune et de prendre conscience que le continent européen est plus qu'un concept, c'est une réalité.
Vous profitez de l’Année européenne du patrimoine culturel pour inviter tous les ministres européens de la Culture à une conférence, en marge du Forum économique mondial (WEF) à Davos. Qu'espérez-vous de cette rencontre?
La culture au sens large est d'une importance capitale pour la société, pas simplement un joli accessoire. Elle est souvent trop peu prise en compte au niveau politique.
Aujourd'hui, le WEF est principalement un lieu d'échange pour l’économie et la politique mondiales. Il est bon d'y faire également une place à la culture. À l'issue de la conférence des ministres de la Culture, nous adopterons une "Déclaration de Davos" portant sur la culture du bâti pour l'Europe.
Pourquoi la culture du bâti?
Parce que l’urbanisation et les paysages ne sont pas seulement l’expression visible de nos actes culturels. L’espace bâti et sa qualité influent simultanément sur notre identité culturelle, notre qualité de vie et le bien-être de chacun. Dans notre pays, nous nous devons d’être davantage conscients de cette qualité et des aspects culturels de toute construction.
Karin Salm (SRF)/mh
> L'article sur le site de SRF Kultur: "Das Kulturerbe ist mehr als ein 'Nice to have'"
> L'interview d'Alain Berset sur Radio SRF Kultur, "Kultur Kompakt", le 3 janvier 2018