Dans l'après-midi du 10 juillet 1919, frère et sœur sont inhumés côte à côte à Langenbruck. Le 7 juillet, soit trois jours auparavant, le pionnier de l'aviation suisse perd la vie dans un crash sur l'aérodrome de Dübendorf.
Désespérée, sa sœur Leny, star montante du cinéma naissant et créatrice de mode, se suicide le jour même dans sa chambre d'hôtel de Zurich. Elle avait à peine 25 ans.
Elle est inhumée dans l'indifférence générale alors qu'Oscar reçoit tous les honneurs liés à son rang de pilote. Et c'est ainsi qu'elle tombe dans l'oubli.
Jusqu'en 2017
La vie et l'œuvre de Leny Bider ont aujourd'hui retrouvé toutes leurs lettres de noblesse grâce à l'initiative d'une association féminine locale et à Johannes Dettwiler qui a publié une biographie complète de l'artiste.
Cet ingénieur à la retraite et historien à ses heures, est parvenu à constituer un trésor de photos et de documents privés – parmi lesquels le journal intime de la star.
Amatrice de salles obscures
"Leny était une originale qui faisait fi des conventions", souligne Johannes Dettwiler. Adolescente déjà, elle se passionne pour le théâtre et va tant que faire se peut au cinéma, bien que ce ne soit pas usuel pour une fille de bonne famille.
Elle perd ses parents à 16 ans et son tuteur la place dans un pensionnat de jeunes filles, où elle reçoit une éducation stricte pour devenir, plus tard, une bonne épouse.
Vie d'artiste à Zurich
Mais Leny a d'autres projets: elle veut devenir actrice. Elle a en outre un réel talent pour la mode et la peinture, art dont elle excelle très vite. Une fois majeure et délivrée du joug de quiconque, elle s'installe à Zurich.
En 1916, elle ouvre son propre atelier de mode à la Bahnhofstrasse. Elle dessine des robes, des chapeaux, et certaines de ses esquisses sont parvenues jusqu'à nous: on peut en admirer des reproductions à l'hôtel Erica de Langenbruck.
En pantalons dans le premier film alpin suisse
En 1917, Leny Bider décroche son premier rôle au cinéma, celui d'une meneuse dans un pensionnat de jeunes filles dans un vaudeville de 16 minutes intitulé "Frühlingsmanöver" (Manœuvres de printemps).
Peu de temps après, elle frappe fort en obtenant le rôle principal du premier film alpin suisse, "Der Bergführer" (Le guide de montagne). Ce mélodrame de 65 minutes est tourné dans les neiges de l'Oberland bernois, à plus de 2000 mètres d'altitude.
Leny va y déployer toutes les facettes de sa personnalité. "Plutôt que s'asseoir en jupe sur une luge, elle skie en pantalons et escalade les montagnes, portant à elle seule le film", souligne Margrit Schriber, auteur d'un roman consacré à la vie de l'actrice. Elle va même jusqu'à voler un baiser à son partenaire à l'écran, bien que les codes de l'époque l'interdisent.
La critique reçoit très positivement le film et tous encensent Leny Bider, alias Leny Harold, pour sa prestation. D'aucuns écrivent même qu'elle aurait pu être encore plus présente à l'écran. On espère bientôt la voir dans des rôles plus forts, dans des drames notamment, où elle pourrait déployer pleinement ses talents d'actrice.
Mariée contre son gré
Mais la vie en décide autrement. Camarade d'armée d'Oscar issu d'une famille zurichoise très en vue, le cavalier et lieutenant-colonel Ernst Theodor Jucker veut la ramener à la raison et faire d'elle une femme respectable. Il lui fait ouvertement la cour. Surprise que quelqu'un veuille l'épouser, elle cède aux avances d'Ernst, mais à contre-cœur et rongée par le doute.
Elle craignait de retomber sous le joug d'un homme.
Mais comme aucun rôle ne lui est plus proposé, sûrement à cause de la pression exercée par le très influent Ernst, elle n'a d'autre choix que d'accepter ce mariage.
En juin 1919, ils se fiancent en toute discrétion et le 5 juillet, leur mariage est annoncé dans la feuille officielle de Bâle Campagne.
Mais deux jours plus tard, Oscar Bider se tue avec son avion. Leny est brisée; elle n'envisage pas de vivre avec un mari qu'elle n'aime pas sans son frère à ses côtés. Elle met fin à ses jours quelques heures plus tard.
Une fratrie courageuse
Que reste-t-il de Leny Bider? Pour Margrit Schriber, c'est un véritable phénomène: "100 ans après sa mort, son destin nous touche toujours autant."
Christine Heid, habitante de Langenbruck, considère Oscar et Leny Bider comme deux étoiles brillant d'une même intensité: "Que ce soit dans les airs ou sur les sommets enneigés: tous deux ont fait preuve d'un même courage."
100 ans après sa mort, Leny trouve enfin une place au panthéon des femmes suisses qui ont marqué leur époque.
Irène Dietschi (SRF)/Réalisation web: Miruna Coca-Cozma
Sujet traité sur Radio SRF 2 Kultur, Kontext, 12.1.2018, 9 h 00 (en allemand).