On envie ceux qui arrivent à tout prendre avec stoïcisme, alors que l’envie est justement la plus toxique des émotions. Mieux vaut donc s’en guérir.
Au lieu de se comparer constamment aux autres, il serait préférable de se concentrer sur ce qu’on peut réellement changer. Peut-être qu’on ne peut rien faire contre l’état de notre compte en banque ni contre notre poids, mais on peut changer la manière dont ils nous affectent. Voilà comment pense un vrai stoïcien.
Modes d’emploi à l’usage du quotidien
La philosophie stoïque comprend de nombreuses sagesses du quotidien, comme par exemple celles de Sénèque, Marc Aurèle et Epictète: ne pas sombrer dans la victimisation ni dans la compassion. La pitié n’a jamais aidé personne.
Accepter la fatalité telle qu’elle vient, car on ne peut de toute manière rien y faire. Se suffire à soi-même. Ne pas faire dépendre son bonheur aux autres. Voici de bons principes de vie, du moins à une ère où l’on se mesure en permanence aux autres.
Qu’est-ce que le stoïcisme?
Le stoïcisme est un courant philosophique né vers 300 avant J.-C. et qui touche à sa fin avec le stoïcisme romain autour de 200 après J.-C..
Le stoïcisme est une construction collective reposant sur l’idée selon laquelle il vaut mieux aborder les sentiments et le monde avec rationalité plutôt que d’être à la merci de son destin et de ses émotions. Etre stoïque signifie se suffire à soi-même.
Il n’est donc pas étonnant que ces anciens principes se vendent aujourd’hui comme des petits pains. Dans leurs best-sellers récents, des écrivains et philosophes comme Massimo Pigliucci ou Ryan Holiday abordent le stoïcisme au quotidien. Rolf Dobelli consacre également son ouvrage "L’art de bien agir" au stoïcisme.
Le retour du stoïcisme est loin d’être une première
Le stoïcisme n’en est pas à sa première "résurrection". Christoph Halbig, professeur à l’Université de Zurich, nous rappelle que les gens se sont régulièrement réfugiés dans le stoïcisme, surtout en temps de crise. Ainsi, de nombreux hommes d’Etat se sont reposés sur cette philosophie pendant la guerre de Trente Ans.
Halbig qualifie de preuve historique la peinture "Les quatre philosophes" réalisée par le Néerlandais Rubens en 1611. Le philosophe Lipsius s’est battu pour faire revivre le stoïcisme au milieu des horreurs de la guerre. C’est la raison pour laquelle Rubens a placé le buste du stoïcien Sénèque en arrière-plan.
Apprendre à lâcher prise
La philosophie stoïque s’est développée à une période de crise similaire à celles que nous connaissons à notre époque. Dans la Grèce antique, avec la disparition des petits Etats indépendants au profit des grands empires helléniques et plus tard romain, les Grecs ont dû faire face à de nouvelles convictions ethniques et religieuses.
Le stoïcisme opposa à la peur de l’inconnu l’idée que tous les humains sont égaux. Par conséquent, les Grecs se considéraient alors à cette époque de transition habitants de l’univers plutôt que d’un petit Etat indépendant. Aujourd’hui, c’est le même idéal qui nous anime, à savoir celui de l’égalité entre tous.
Toutefois, cela ne suffisait pas à vaincre la peur du lâcher-prise. La philosophie stoïcienne tente de surmonter cette peur en insinuant que le bonheur ne dépend pas de facteurs extérieurs. Se suffire à soi-même est un principe que personne ne peut nous enlever.
Le bonheur est une faculté
La peur de perdre contrôle est l’une des principales causes des maladies liées au stress. Tobias Ballweg, philosophe et psychologue en chef à la clinique Kilchberg (ZH), applique depuis des années les remèdes stoïciens.
Pour lui, il est important que les patients comprennent que le bonheur n’est pas une "fatalité", ni une performance, mais une faculté. Seuls ceux capables de respecter leurs propres besoins peuvent être heureux. Le bonheur appartient à celui qui aborde la vie avec sérénité, estime l’auteur à succès Rolf Dobelli.
De plus, il est de l’avis que le lâcher-prise fait partie de la vie. Et pour cela, il est primordial d’apprendre à distinguer ce qu’on peut changer de ce qu’on ne peut pas changer et qu’on doit donc accepter.
Cultiver les sentiments
Mais pour le professeur universitaire Christoph Halbig, vouloir gérer ses émotions stoïquement serait aller trop loin. Le principe stoïcien de l’apathie et de l’affranchissement total des sentiments nie le fait que les émotions peuvent tout à fait s’avérer utiles et raisonnables. Par exemple, la compassion nous aide à ressentir les sentiments des autres et la colère à nous défendre contre les injustices.
Il ajoute par ailleurs que le stoïcisme a tendance à banaliser le malheur. Par exemple, lorsqu’on perd un enfant, se dire que tous les humains sont mortels ne nous aide pas beaucoup en tant que parent.
Christoph Halbig préfère l’approche aristotélicienne: Aristote nous conseille de ne pas refouler nos sentiments, mais de les cultiver. S’indigner face à une injustice criante est tout à fait légitime, voire nécessaire.
Barbara Bleisch/Réalisation web: Jeremy Damon
L'article original a été publié sur SRF Kultur.