Une des grandes figures de la littérature helvétique, Yvette Z'Graggen a réussi, malgré une vie familiale difficile durant sa jeunesse, à montrer une forme d'insolence et d'audace face aux conventions, pour devenir une femme indépendante et une écrivaine reconnue.
Une belle revanche sur le destin racontée dans "Yvette Z'Graggen, une femme au volant de sa vie", documentaire signé Frédéric Gonseth basé, entre autres, sur une série d'entretiens réalisés avant sa disparition en 2012 par Catherine Azad.
L'écriture comme refuge
Née en 1920 dans une famille aisée de la bourgeoisie genevoise, la vie de la petite Yvette devient difficile suite à la faillite du cabinet dentaire de son père dans les années 1930. La famille doit quitter les beaux quartiers. Fille unique, elle se trouve au milieu des relations tumultueuses entre sa mère, dépressive et victime de violences conjugales, et son père, un homme très mal intégré en Suisse romande.
La jeune fille est brillante mais sans amis. Dès l'âge de 8 ans, elle se réfugie dans l'écriture, pour oublier cette solitude puis, pour s'évader d'un quotidien familial toxique. Contrairement à de nombreuses jeunes filles, Yvette n'écrit pas son journal intime, mais raconte déjà des histoires.
Jeune femme de 20 ans dans les années 1940, docile et destinée à être employée de bureau, Yvette décide de larguer les amarres, d'affronter son père et de vivre pleinement son désir forcené de vivre. La liberté avant tout.
A partir de là, elle prend son indépendance et commence une longue carrière d'écrivain. Elle sera aussi productrice d'émissions culturelles durant une trentaine d'années à la Radio Suisse Romande.
La reconnaissance
Son premier roman "La vie attendait" (1944) raconte l'histoire de jeunes filles cherchant à se libérer de la morale bien-pensante. C'est un succès de librairie. De nombreux autres suivront. Souvent d'inspiration autobiographique, ses récits traitent aussi de thématiques universelles comme de la condition féminine ou des inégalités sociales.
Elle s'est aussi intéressée à la responsabilité des gens face aux atrocités de la guerre. Une thématique qui touchait de près la romancière, âgée de 19 ans en 1939 et qui avait fait partie de cette jeunesse suisse préservée et insouciante alors que la Deuxième guerre mondiale et ses atrocités frappaient aux frontières du pays.
Elle développera d'ailleurs par la suite un sentiment de culpabilité, ne comprenant pas comment elle, dont le père lisait "Le Pilori", journal suisse antisémite, et tenait des discours haineux, n'a pas vu ou pas voulu voir les horreurs de cette guerre qui arrivait. Des sentiments qu'elle exorcisera dans "Un temps de colère et d'amour" (1980).
Une femme insoumise
Yvette Z'Graggen a souvent été perçue comme une porte-parole du féminisme. Elle savait exprimer dans ses livres ce que des milliers de femmes ressentaient, vivaient dans leur quotidien. Mais pour Catherine Azad, qui a mené des entretiens avec l'écrivaine et collaboré au scénario et à la réalisation du documentaire, le féminisme n'était pas un but en soi pour l'écrivaine. "C'est son audace et cet immense désir de liberté qui la caractérisait et qui l'animait avant tout".
Personnalité atypique, elle fumait et conduisait des voitures, symboles de la liberté qu'elle aimait tant. La romancière sortait également des sentiers battus dans sa vie privée, n'hésitant pas à aimer librement des hommes volages.
Une figure clé de la littérature romande
Durant sa carrière, Yvette Z'Graggen a fait partie des auteurs romands qui vendaient le plus d'ouvrages. Elle a d'ailleurs reçu de nombreuses récompenses pour son oeuvre, dont le Prix Schiller en 1996 et le Prix Eugène Rambert en 1998.
Grâce à son style avant-gardiste et ses questionnements toujours pertinents et universels, Yvette Z'graggen gardera une place d'honneur dans le temple de la littérature romande.
Interview radio réalisée par Chrystel Domenjoz
Réalisation web: Andréanne Quartier-la-Tente