Décryptage de ce classique d'Alfred Hitckcock de 1956, remake d'un film que le maître du suspense avait sorti en 1934.
Chapitre 1
L'histoire
Le docteur Benjamin McKenna et sa femme Jo, ancienne chanteuse à succès, passent quelques jours au Maroc avec leur fils Hank. Dans le car qui les emmène à Marrakech, les Américains font la connaissance de Louis Bernard (Daniel Gelin), un Français qui les invite à dîner le soir même. Mais celui-ci se décommande à la dernière minute.
Lâchés par leur hôte, les McKenna font alors la connaissance d’un couple d’Anglais, les Drayton, avec qui ils passent la soirée.
Tous décident d’aller le lendemain visiter le marché. C’est là que Louis Bernard, grimé en arabe est assassiné. Il meurt dans les bras de Ben McKenna.
Mais avant de mourir, il a le temps de souffler à l’oreille de Ben qu’une importante personnalité sera bientôt assassinée à Londres et lui murmure le nom d’Ambrose Chapell.
Convoqués au commissariat pour témoigner, Ben et sa femme confient leur fils aux Drayton. Mais rapidement, Ben est appelé au téléphone et menacé: s’il parle, son fils kidnappé par les Drayton sera assassiné.
Ben et Jo refusent donc de collaborer avec Scotland Yard, qui leur apprend que Louis Bernard était un espion international. Le couple tente le tout pour le tout et part à Londres pour retrouver leur fils.
Sur la piste des kidnappeurs, ils arriveront à temps pour déjouer un complot international.
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Chapitre 2
Remake d'un film de 1934
En 1955, Alfred Hitchcock est au sommet de son art et il est extrêmement productif. Sa comédie macabre à l'anglaise "Mais qui a tué Harry" rencontre un pâle succès en Amérique, mais cartonne en Europe. Hitchcock, toujours à la recherche d'un nouveau projet, repense alors à l'un de ses succès de l’époque britannique qui ne l’avait pas complètement satisfait.
Ce film, c’est "L’homme qui en savait trop". Tourné en 1934, il raconte l’histoire d’un couple pris dans un imbroglio diplomatique à St-Moritz en Suisse suite à l’enlèvement de leur petite fille et une tentative d’assassinat à l’Albert Hall de Londres.
Pour la première et la dernière fois de sa carrière, Hitchcock se lance alors dans l'auto-remake.
La première version de "L'homme qui en savait trop" a été faite par un amateur de talent, tandis que la seconde l'a été par un professionnel"
Pour cela, il engage un collaborateur fidèle en qui il a une confiance absolue, John Michael Hayes. Hitchcock demande au scénariste de ne pas regarder l’original et lui en raconte simplement la trame.
Il lui expose l’idée principale: l’histoire d’une famille américaine menacée par le terrorisme international, l’enlèvement de leur enfant et le complot visant à éliminer un homme d’Etat.
Cette histoire n’intéresse Hitchcock que pour mieux nous décrire la montée de l’angoisse chez des gens simples qui ne cherchent pas d’histoires, et qui se retrouvent du jour au lendemain embringués malgré eux dans une abracadabrante affaire d’espionnage.
Elle permet de faire survenir le drame et le suspense à partir d’une situation banale, d’y plonger des personnages anodins, et d’observer leurs réactions.
A la mi-janvier 1955, le réalisateur et son scénariste proposent une remouture du film de 1934. 70 pages de scénario. On déplace l’action de Saint-Moritz à Marrakech. On lui donne une nouvelle structure et on planifie l’enchaînement des scènes. Hays se met alors à rédiger seul le scénario avec un savoir-faire impressionnant.
En février et mars 1955, tout le monde à la Paramount commence à s’affairer. Et tandis que Hays continue d’écrire, l’équipe commence à concevoir les décors et les costumes. On s’attarde sur la distribution, le planning des studios, des extérieurs et aux mille détails qu’il faut prévoir pour produire un film à gros budget.
Hitchcock se rend compte très vite qu’il lui faut un excellent décorateur. Les prises de vue auront lieu en Afrique du Nord et à Londres, et certaines scènes aussi bien que dans les studios de la Paramount qu'à Hollywood. On lui conseille Henry Bumstead. Les deux hommes s’entendent à merveille. C’est le début d’une fructueuse collaboration, Bumstead fera "Sueurs froides" et "Complot de famille". Les préparatifs pour "L’homme qui en savait trop" avancent bien. Hitchcock est content.
Chapitre 3
Le casting
Archives du 7eme Art / Photo12/ AFP
Alfred Hitchcock choisit deux acteurs confirmés pour les rôles principaux. James Stewart est engagé à la mi-avril 1955 pour jouer le docteur Ben Mac Kenna. Et pour incarner son épouse, le réalisateur engage une actrice qu’il veut diriger depuis longtemps. Elle s’appelle Doris Day. Elle est chanteuse. Sa voix sensuelle charme depuis longtemps les amoureux de musique. Elle couvre l’entier des genres musicaux: le blues, jazz, ballade, rock'n'roll, pop, big band.
A l’écran, elle parvient également à s’imposer. Que ce soit comme actrice ou comme actrice et chanteuse dans les diverses comédies romantiques dans lesquelles elle pousse la chansonnette. Elle incarne à l'écran une femme saine et vertueuse. Elle a du talent et un air de bonne fille bien dans sa peau. Exactement ce que recherche Alfred Hitchcock.
Les doutes et angoisses de Doris Day
L'actrice hésite toutefois un peu. Elle n’a jamais quitté l’Amérique et trouve effrayante l’idée de s’envoler pour le Maroc. Son mari la convainc: on ne refuse pas de tourner avec le maître du suspense.
Avec Doris Day, Hitchcock se montre d’une courtoisie à toute épreuve. Il est cordial, mais sans chaleur. Et tout cela va finir par provoquer chez la comédienne une forte angoisse. Elle est convaincue que le réalisateur la déteste.
L'actrice raconte:
"Il ne me disait jamais rien, ni avant, ni pendant, ni après une scène et je pensais donc que je lui déplaisais, ce qui m’atterrait. Nous tournions et c’était tout. Tout se passait de façon très courtoise et sérieuse, mais j’avais l’impression qu’il se sentait encombré d’une actrice dont il ne voulait pas. J’ai dit à mon mari que ça me paraissait évident que ça n'allait pas et qu’il fallait rentrer en Californie.
A la fin, j’ai organisé un tête-à-tête avec Mr Hitchcock. Je lui ai dit que je savais que ce que je faisais ne lui plaisait pas et que s’il voulait me remplacer il le pouvait. Il fut stupéfait. Il me dit que c’était juste l’inverse et qu’il trouvait que tout ce que je faisais été bien et que, si ça n’avait pas été le cas, il me l’aurait dit."
Le jeu de Doris Day est parfait, principalement dans la scène de l’enlèvement de son fils; l’une des plus belles scènes d’hystérie contrôlée au cinéma. James Stewart lui donne un somnifère avant de lui révéler la nouvelle de l’enlèvement de leur fils.
Doris Day arrive à livrer un magnifique portait d’une femme sous le coup d’une émotion intense. Il faut dire qu’elle est mère d’un jeune garçon à cette époque, et qu’elle réussit à intérioriser la douleur et les émotions en se mettant complètement dans la peau du personnage. A l’écran, le résultat ne paraît ni calculé, ni intellectualisé.
Chapitre 4
Montrer l'émotion
Le planning du tournage oblige Alfred Hitchcock à partir pour Londres alors que le scénario est loin d’être terminé. Le scénariste, Hayes, continue d'écrire tout seul.
Hitchcock sait où il va et le tournage avance bien. Comme c’est un remake d’un de ses films, il corrige une bonne partie de ses erreurs de débutant en replaçant, au cœur de son film, l’essentiel, à savoir l’émotion. Cette émotion est portée par une écriture scénaristique bien mieux maîtrisée et une intervention constante de la musique au service de la narration.
Hitchcock veut décrire la montée de l’angoisse chez des gens simples qui ne cherchent pas d’histoires, et qui se retrouvent du jour au lendemain embringués malgré eux dans une abracadabrante affaire d’espionnage. Et l’émotion sert le suspense.
12 minutes d'anthologie
Une des scènes mythique de "L’homme qui en savait trop" est une séquence muette, mais musicale de 12 minutes qui a lieu à la fin du film au Royal Albert Hall à Londres. 12 minutes où le concert d'un orchestre symphonique et choeur sert de toile de fond à un possible assassinat. Cette séquence fait montre d’une progression dramatique étonnante. C’est peut-être la scène la plus virtuose et maîtrisée de la carrière du réalisateur.
Pour cette séquence, ce sont 124 plans fixes rigoureusement millimétrés qui sont utilisés portés par la sublime "Storm Cloud Cantata" d’Arthur Benjamin. Cette cantate est dirigée par Bernard Herrmann, le propre compositeur de la musique du film. Il mène à la baguette le London Symphony Orchestra et le chœur du Covent Garden avec ses 350 voix.
Hitchcock accorde à la musique une place de tout premier plan, véritable actrice principale du drame qui va se jouer. En l’utilisant avec un maximum d’efficacité, le réalisateur dirige l’émotion du spectateur pour l’amener à monter progressivement jusqu’à ce crescendo attendu, le coup de feu qui a lieu en même temps qu'un coup de cymbale.
Chapitre 5
Sortie
Michael Ochs Archives/Getty Images - Earl Leaf/
Le film sort en mai 1956 aux Etats-Unis. Et il cartonne. En moins d’une semaine, "L'homme qui en savait trop" est déjà le plus grand succès de tous les films de cette année 1956. Pour Hitchcock et James Stewart qui se paient avec un pourcentage sur les bénéfices, c'est une bonne nouvelle.
Le film est présenté aux Oscars où la chanson du film, "Que sera, sera (Whatever Will Be, Will Be)", écrite par Jay Livingston et Ray Evans, est récompensée par l'Oscar de la meilleure chanson originale et devient un grand succès de Doris Day.
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Alfred Hitchcock, une fois le film terminé, passe à autre chose. Il travaille sur "Le Faux Coupable" avec Vera Miles. Il négocie ses droits pour la télévision et continue sa licence avec les éditeurs du Alfred Hitchcock Mystery Magazin à qui il a vendu son nom.
A la fin de l’année 1956, le revenu d’Hitchcock s’élève à plus de 4 millions de dollars, réinvestis dans la terre, le pétrole et le bétail. Mais il n’oublie pas, au passage, de faire rénover de fond en comble les cuisines de ses deux maisons.
C’est quand même à ça que sert l’argent non? Et à faire du cinéma. Car en dehors de la nourriture et de ses plaisirs, Alfred Hitchcock n’aime que le cinéma.