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"Les aventures de 'Histoire du soldat'", essai documentaire musical

La première de l'"Histoire du soldat" dans l'ancien Théâtre de Lausanne. Aquarelle faite de mémoire par Théodore Stravinsky âgé de 12 ans. [Fondation Théodore Strawinsky]
La première de l'"Histoire du soldat" dans l'ancien Théâtre de Lausanne. Aquarelle faite de mémoire par Théodore Stravinsky âgé de 12 ans. - [Fondation Théodore Strawinsky]
Le documentaire "Les aventures de 'Histoire du soldat'" de Michel Van Zele rend hommage au centenaire de la pièce théâtrale et musicale imaginée par Stravinski et Ramuz en 1918. Une œuvre qui a marqué l'histoire de la musique à plus d’un titre.

Sous-titré "une féérie musicale", le documentaire du réalisateur français Michel Van Zele ("La Passion selon Callas" entre autres) coproduit par la RTS replonge à la façon d’un "essai" filmé dans la genèse de l’œuvre majeure du compositeur russe Igor Stravinski alors en exil lémanique et de l’écrivain lausannois Charles-Ferdinand Ramuz, orchestrée par le Veveysan d’origine Ernest Ansermet qui les a mis en relation.

Une "Histoire du soldat" "parlée, jouée, dansée" pour sept instrumentistes et trois récitants empreinte de la Première Guerre mondiale qui fait rage et de Révolution russe, d’un vieux conte russe d’Alexandre Afanasiev et du pays vaudois, où il est question d’un soldat qui "a marché longtemps déjà entre Denges et Denezy" et s’impatiente de "rentrer chez lui", de son violon qu’il transporte et de son marché avec le diable.

Première le 28 septembre 1918 au Théâtre municipal de Lausanne

Sept spectateurs privilégiés, à l'image des sept interprètes du mimodrame itinérant créé pour la première fois le 28 septembre 1918 au Théâtre municipal de Lausanne, déroulent et rejouent dans le film la petite histoire de cette grande "Histoire du soldat" qui les a autant marqué et inspiré que le répertoire du XXe siècle. Une œuvre novatrice fusionnant habilement les modes d’expression des signataires.

Rythmé par la musique, le texte du livret, des images mises en scène d’un soldat marchant avec son masque à gaz et son violon, des archives audiovisuelles, des souvenirs de Ramuz lus par un comédien, des extraits des répétitions de la version contemporaine qu’en propose le metteur en scène espagnol Alex Ollé de La Fura dels Baus à Lausanne pour le centenaire ou par les décors du peintre René Auberjonois, le documentaire multiplie les points de vue pour reconstruire le puzzle de cette création atypique. Et voit notamment défiler les chefs d'orchestre suisses de renommée internationale Charles Dutoit et Michel Tabachnik ou le fondateur de la Cinémathèque suisse et co-fondateur de la troupe des "Faux Nez" Freddy Buache, qui assista à une représentation de "Histoire du soldat" en 1945.

Leurs témoignages se greffent entre autres aux souvenirs sur Stravinski de Ramuz que le documentaire intègre à sa narration:

C'était en 1918, personne ne savait quand la guerre finirait. Je me rappelle qu'un jour, non sans naïveté, nous nous étions dit Stravinski et moi, en gros, pourquoi alors ne pas faire simple. Pourquoi ne pas écrire ensemble une pièce qui puisse se passer d'une grande salle, d'un vaste public. Une pièce dont la musique par exemple ne comporterait que peu d'instruments et n'aurait que deux ou trois personnages. Puisqu’il n'y a plus de théâtre, nous aurions notre théâtre à nous.

Charles-Ferdinand Ramuz, écrivain

Alain Rochat, critique littéraire, apporte quant à lui un éclairage sur le choix du titre d’une œuvre faustienne où l’âme du soldat vendue au diable contre un livre magique prédisant l’avenir est figurée par le violon: "A la quatrième version, le titre se fixe: "Histoire du soldat". Le titre est très beau (…) et insiste sur le fait que ce n'est pas "L'histoire du soldat". (..) Cela symbolise bien tout le travail d'écriture de Ramuz qui consiste à dénarrativiser une histoire pour en faire un spectacle. "

A propos de la genèse de "cette oeuvre de musique de chambre toute petite", aussi peu onéreuse qu’humble, le compositeur et chef orchestre Michel Tabachnik ajoute: "C'est parce qu'ils n'avaient pas un sou. (...) Ce n'est pas un choix. Stravinski arrivait du "Sacre du printemps", de "Petrouchka", de "L'oiseau de feu", oeuvres avec des orchestres énormes (...) Et tout d'un coup il se réduit à six personnes, plus la percussion. (...) Avec ces sept instruments, il a pu créer ce qu'on appelle en musique une polyphonie, une harmonie très complexe".

Le documentaire rappelle également l’importance fondamentale d’Ansermet au sein du trio de créateurs via une interview d'archive du chef d’orchestre :

Nous avons vécu Stravinski et moi pendant près de vingt ans comme des frères (...) Je partageais ses soucis, ses tourments, ses joies et je suivais de très près son travail. Et c'est précisément parce que j'ai appris de lui comment il sentait sa musique et comment il fallait la jouer au moment même où il l'écrivait que je continue à la jouer ainsi. C'est donc par lui et à travers lui que j'ai appris à comprendre sa musique.

Ernest Ansermet, chef d'orchestre
Le chef d'orchestre romand Ernest Ansermet. [RTS - Claude Bornand]
Le chef d'orchestre romand Ernest Ansermet. [RTS - Claude Bornand]

Et Ansermet d’ajouter: "La littérature de Ramuz était très proche de moi. Il éveillait en nous et en moi un sentiment de notre nature vaudoise."

"Les aventures de 'Histoire du soldat'" parvient ainsi, avec des moyens de peu et sans esbrouffe technologique, à saisir l’essence d’une création imaginée comme un "théâtre de fête foraine, pour le peuple", ainsi que le résume bien Freddy Buache en évoquant le rôle capital de René Auberjonois.

Olivier Horner

A voir: "Les aventures de 'Histoire du soldat'" de Michel Van Zele (Louise Productions, Seppia, ARTE et RTS les Docs) sur Play RTS.

Et sur RTS Deux, di 30 sept à 23h05. Le documentaire sera suivi de la captation de la nouvelle mise en scène du spectacle par Alex Ollé à l'Opéra de Lausanne.

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