Tout est parti du discours d'Emmanuel Macron, qui avait créé un électrochoc il y a un an à Ouagadougou au Burkina Faso. Le 28 novembre 2017, le président français avait annoncé la mise en oeuvre dans un délai de cinq ans de restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique.
Emmanuel Macron a ensuite confié à un tandem quadragénaire, Felwine Sarr, philosophe, écrivain sénégalais et Bénédicte Savoy, historienne d'art française, la mission d'étudier dans quelles conditions les restitutions pourraient avoir lieu. C'est ce qui fait l'objet de ce rapport, qui ne concerne que l'Afrique subsaharienne et les collections publiques.
Un patrimoine dispersé
L'Afrique est un cas à part. On estime que 90% de son patrimoine se trouve aujourd'hui dans des musées étrangers. Rien qu'au Musée du Quai Branly, on dénombre 70'000 objets venus du Sud du Sahara alors que les plus grandes collections d'Afrique francophone en comptent 3'000 à 5'000.
Ici à Genève, j'ai des quantités de collègues qui travaillent toute leur vie sur des séries d'objets, pour étudier, les présenter, les restaurer. Il y a un attachement à ces objets. On veut bien qu'ils aillent ailleurs, mais il faut s'assurer qu'ils vont garder leur sens.
En France, l'annonce de la restitution a créé un véritable électrochoc. "On a vécu, nous gens de musées, sous le règne de l'inaliénabilité des collections, qui est le véritable viatique des conservateurs occidentaux: quand un objet rentre au musée, il n'en ressortira jamais", précise encore Jean-Yves Marin.
Les conditions de la restitution
Une des conditions principales de la restitution, qui fait déjà grincer des dents, est qu'elle doit être définitive. Les auteurs du rapport sont très clairs sur ce point: pour eux, envisager des prêts ou une restitution provisoire ne permettrait pas de tourner la page et de développer une nouvelle économie de l'échange.
Selon les conclusions du rapport Savoy-Sarr, tout le patrimoine acquis pendant la colonisation à la suite de guerres, de missions scientifiques, via un trafic illicite ou par la donation d'agents de l'administration coloniale, devrait être restitué. En gros, seules les oeuvres vendues ou données avec un consentement libre, équitable et documenté pourraient être conservées dans les musées français.
Créer un terreau favorable
Mais la restitution devra se faire progressivement, en fonction de l'état de préparation des états africains. Il faudrait commencer par leur attribuer des moyens financiers pour bien travailler, propose Jean-Yves Marin, pour qui il faut attendre un véritable "terreau favorable pour restituer les objets".
Le retour de ce patrimoine en Afrique pose de véritables questions.
Il faut que nous acceptions que si l'on restitue, ce n'est pas nécessairement à un musée. (...) On restitue à une communauté, à qui on laisse le pouvoir de décider de ce qu'elle va faire de ces objets.
Suite à ce rapport, les Français devront passer par un changement de loi en raison du caractère inaliénable du patrimoine muséal. Emmanuel Macron s'étant déjà beaucoup engagé, selon Marc-André Renold, ce texte ne pourra pas rester lettre morte.
Il sera intéressant de voir ce qu'il se passe ensuite dans d'autres pays européens. En Suisse, la restitution n'occupe pas vraiment le débat public.
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En France, il ne fait que commencer, avec la remise de ce rapport au président Macron ce vendredi après-midi.
Sylvie Lambelet/mh
"Restituer le patrimoine africain" par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, fruit du rapport commandé par Emmanuel Macron, une coédition Philippe Rey et Editions du Seuil, 2018.