Eijiro Miyama
Vêtu de plusieurs robes superposées et arborant une fière poitrine (des faux seins), Eijiro Miyama est paré de son attribut majeur: l'un de ses hauts couvre-chefs, confectionnés par ses soins à partir d'objets récupérés – fleurs artificielles, jouets de pacotille et autres bibelots dénichés dans divers marchés aux puces ou au rebut.
Myiama a travaillé la plus grande partie de son existence comme manœuvre journalier, émigrant de ville en ville dans tout le Japon. Aujourd'hui retraité, il loue une chambre minuscule dans un foyer vétuste pour indigents, situé à Yokohama, près de Tokyo. Chaque samedi, il enfourche sa bicyclette ainsi costumé, gagne le quartier chinois, animé et touristique, et sillonne les rues, sourire aux lèvres, faisant fi des moqueries.
Le dénuement et la précarité de sa vie, un sentiment d'oppression et la conscience de la fin qui approche l'ont incité à passer à l'acte. Conscient de transgresser les normes, mais indifférent au qu'en dira-t-on, il répond à un besoin intérieur aussi intense, selon ses termes, qu'une énergie sismique. Ses aventures publiques extravagantes ont ainsi une double fonction, exutoire et provocatrice.
Helga Goetze
A quelques milliers de kilomètres de Yokohama, à Berlin, Helga Goetze elle aussi portait de singulières parures – grand manteau et couvre-chef – réalisées avec attention. Ainsi vêtue, elle se rendait chaque jour, été comme hiver, pendant vingt ans, sur le parvis de la Gedächtniskirche au cœur de Berlin ou près de l’université, proclamant haut et fort: "Ficken ist Frieden" ("baiser, c'est la paix").
Mariée très jeune avec un banquier, elle avait élevé sept enfants. A 52 ans, elle décida de s'intéresser à sa sexualité, quitta sa famille, multiplia les expériences et se mit à créer de surprenantes broderies. Dans des décors bucoliques, ses compositions mettent en scène des figures humaines, souvent féminines, qui se caressent, méditent, dansent nues ou sont couchées dans des positions lascives. Des textes revendicateurs les accompagnent sous forme d’aphorismes protestataires, inscrits dans des cartouches.
Helga Goetze n'est plus au rendez-vous, devant l'église berlinoise, depuis une dizaine d'années, puisqu'elle est décédée d'une attaque cérébrale en 2008. On peut voir ses broderies et parures vestimentaires à la Collection de l'Art Brut à Lausanne.
Vahan Poladian
Confectionnés par ses soins à l'aide d'étoffes chamarrées et scintillantes, ses costumes sont ornés de festons et de galons, décorés de broches et de pendeloques, de breloques et de médailles. Ce bric-à-brac insolite, récupéré ou acquis pour trois sous – bijoux de strass, boules de Noël, ampoules électriques, rubans et cordons – est scintillant à souhait.
Poladian arborait publiquement ces parures dans les rues de le petite ville méridionale de Saint-Raphaël, en France. Ces parades avaient pour but de célébrer une Arménie féérique, lointaine et défunte, immémoriale – dont il avait dû s’exiler lorsqu'il était jeune homme.
Eijiro Miyama, Helga Goetze et Vahan Poladian, sans se connaître, se sont adonnés dans une liberté enfin conquise à des processions extravagantes, éphémères et carnavalesques, où la revanche symbolique était placée sous le signe de l'ironie créatrice.
Lucienne Peiry/ld
>> "Art Brut du Japon, un autre regard", jusqu'au 28 avril 2019, Collection de l'Art Brut, Lausanne.