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Le poil dans l'art: trois oeuvres qui ont marqué l'histoire de la peinture

"La Vénus d'Urbino", par Titien (vers 1490-1576). Florence, musée des Offices. [AFP - Collection Roger-Viollet]
Culture: Poiiiiiils, je vous (h)aime / Question Q / 4 min. / le 22 mars 2019
Depuis la nuit des temps, les poils sont un sujet délicat, voire tabou, aussi bien dans la vraie vie que dans sa représentation dans l'art. Voyage artistique au pays des poils.

A l'origine, deux grands clichés mythologiques: d'un côté, la toison de Samson rasée par Dalila, ce geste engendre l'affaiblissement de l'homme, perdant toute sa virilité, et de l'autre, la fameuse Méduse, gorgone à la chevelure faite de serpents, dont on a imaginé que la tête représente le vagin et ses cheveux les poils pubiens. Malheur à l'homme qui croise son regard, il se transforme en statue de pierre. L'équation est donc la suivante: attention à la sexualité féminine et sa sauvagerie qui tétanise l'homme. Vive l'épilation, vive la domestication du désir!

Histoire de l'art et du poil

La Madeleine pénitente de Titien (1485-1576), exposée dans la Galerie Palatine, au sein du Palais Pitti à Florence. [Wikipedia - Creative commons]
La Madeleine pénitente de Titien (1485-1576), exposée dans la Galerie Palatine, au sein du Palais Pitti à Florence. [Wikipedia - Creative commons]

Sur les murs des grottes ou sur les statuettes de l'époque, des sexes en tout genre et de tout poil ornent ces parois, et ces objets. Par contre, lorsqu'on arrive à l'antiquité grecque, toute représentation du sexe est dépourvue de poils.

Les hommes s'en tirent bien parce que leur sexe-phallus, symbole de force et de pouvoir, reste un symbole, même au repos. Concernant les femmes et leur pilosité... le sujet se complique. Le sculpteur se limite à donner un galbe au mont de Vénus, pas de poils ni de vulve, une forme géométrique pure, qui incarne un goût esthétique, dénué d'érotisme.

Au Moyen-Âge, on préfère à la forme géométrique, la feuille de vigne qui masque aussi bien les attributs que les poils.

Marie-Madeleine, la sainte prostituée amie de Jésus, se remarque non seulement grâce à sa chevelure apparente, qui la distingue des saintes femmes voilées, mais sa chevelure parfois recouvre tout son corps, la rendant reconnaissable, mais indésirable.

C’était encore plus extraordinaire que je l’avais imaginé: du nombril à la fourche des jambes, elle était couverte d’une pelure épaisse, d’une houppe énorme et dense, véritable sopran écossais, riche comme un tapis de haute laine

Henry Miller, "Tropique du capricorne"

Premier nu féminin

C'est à Lucas Cranach l'Ancien, peintre et graveur allemand, que revient la paternité du premier nu féminin (début du XVIe), pourvu de poils pubiens. Poils acceptables, puisque la femme endormie ne présente en rien une attitude provocatrice.

"Nymphe a la source" ou "Le repos de Diane", peinture de Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) Vers 1537. Besancon, Musée des Beaux Arts. [Leemage - Photo Josse]
"Nymphe a la source" ou "Le repos de Diane", peinture de Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) Vers 1537. Besancon, Musée des Beaux Arts. [Leemage - Photo Josse]

Dans le catalogue raisonné de Max J. Friedländer et Jakob Rosenberg "The paintings of Lucas Cranach", le tableau "Femme nue" n’est pas reproduit. Ce qui s’explique par le fait que cette œuvre est attribuée à l’atelier de Lucas Cranach l’Ancien et non à sa personne.

Dans l'article "Les peintures de Lucas Cranach", Fernand Ouellette remarque que les nus de Cranach ne sont jamais dégarnis de leurs bijoux.  "Que de colliers, de coiffures, de plumes. Etait-ce chez lui une sorte de sens inné de l'érotisme, mais inconscient ? Ou bien assouvissait-il la passion grossière de l'or de ses clients ? L'Allemand n'est jamais éloigné du baroque. De plus, la plupart du temps, se dégage du visage de ses femmes un "charme mauvais et pervers" (G. Francastel)", lit-on dans cet article paru en 1979.

Le nu de Goya

Une femme alanguie, peut-être avant ou après l'amour, les bras derrière la nuque. Goya peint ce nu qui regarde le spectateur en 1790. Depuis son nombril jusqu'au pubis, un fin traitillé de poils s'intensifie à l'intersection des cuisses.

Cette œuvre est le pendant d'un "Maja vêtue", tous deux étant la propriété de Manuel Godoy, duc d'Alcudia et de Sueca. On suppose qu'elles étaient placées l'une sur l'autre, "La Maja vêtue" sur "La Maja nue", un mécanisme permettant de découvrir le second.

L'histoire de la Maja nue est édifiante et est sujette à moult péripéties. En 1807 Ferdinand VII, roi d'Espagne, la confisque à son propriétaire. En 1814, l'Inquisition décide de la cacher au public pour cause d’obscénité. Goya se retrouve en procès.

"La maja nue", peinture de Francisco Goya y Lucientes (1746-1828), exposée à Madrid, Museo del Prado. [Leemage - Luisa Ricciarini]
"La maja nue", peinture de Francisco Goya y Lucientes (1746-1828), exposée à Madrid, Museo del Prado. [Leemage - Luisa Ricciarini]

Si l'oeuvre choque, c'est que cette Maja est une femme, une vraie, qui n'est ni une muse, ni une déesse. Elle n'appartient pas à une peinture d'histoire. C'est une femme de l'époque de Goya, représentée ici dans toute sa sensualité. Elle elle nous regarde et elle nous montre ses poils, quelle transgression!

Le poil féminin n'est en effet pas du goût de tout le monde, le célèbre critique d'art Ruskin du XIXe, tellement accoutumé aux représentations de nus féminins dénués de poils, lorsqu'il découvre le sexe poilu de sa femme pendant sa nuit de noces, il en est tellement écoeuré qu'il la rejette et annule son mariage.

Cette théorie est néanmoins réfutée par Robert Hewison, expert de Ruskin. "Cette bêtise autour des poils pubiens, c'est comme un grand mur qui empêcherait les gens de comprendre Ruskin. L'idée qu'il ne savait pas à quoi ressemblait une femme est un non-sens. C'est franchement irritant" lit-on dans la revue ActuaLitté.

Courbet, roi des poils

Au contraire, le peintre Gustave Courbet apparaît comme l'empereur des poils, de toutes les toisons, ou plutôt de "la" toison. Encore aujourd'hui, son "Origine du monde", n'a rien perdu de la fascination qu'elle provoque.

Un nu féminin concentré sur la représentation plus vraie que nature de son pubis et de sa vulve offerte au regardeur.

"L'origine du monde" (1866) de Gustave Courbet, au musée d'Orsay à Paris. [AFP - GODONG/BSIP]
"L'origine du monde" (1866) de Gustave Courbet, au musée d'Orsay à Paris. [AFP - GODONG/BSIP]

Une oeuvre de 1866, entrée depuis 1995 au Musée d'Orsay, et dont l'histoire mouvementée montre à quel point le trouble qu'elle suscite résiste au temps.

>> A lire : Retour sur "L'origine du monde", chef d'oeuvre controversé de Courbet

Elle a toujours été dissimulée, d'abord derrière un rideau chez son premier propriétaire, un diplomate turco-grec, ensuite derrière un autre tableau. Puis chez le psychanalyste Jacques Lacan, qui en deviendra le propriétaire. Il fera réaliser un cadre à double fond pour poser l'oeuvre, le dessus du cadre étant peint par un autre artiste, André Masson.

Aujourd'hui, l'oeuvre est montrée sans cache, mais elle ne perd rien de son mystère, le buisson ardent de poils active le trouble, le désir, la quête. Car la présence des poils dans l'art nous emmène dans une bascule à la fois essentielle, savoureuse et sulfureuse, au cœur de nos sens, donc à l'origine de nous-mêmes.

Florence Grivel/mcc

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