Un vent de rébellion souffle à l'Institut Suisse de Rome. Et c'est à l'artiste Sylvie Fleury qu'on le doit. La plasticienne genevoise, lauréate du grand prix suisse d'art Meret Oppenheim 2018, l'une des artistes suisses les plus connues et les plus célébrées au monde, investit le vénérable Institut Suisse de Rome, avec une rétrospective excentrique et chic, intitulée "Chaussures italiennes".
Un titre à la fois joyeux, qui célèbre le lieu et qui est aussi une forme de provocation. Parce que Sylvie Fleury n'aime rien tant que détourner les codes, enfoncer les lieux communs pour mieux les questionner et n'en faire, bien sûr, qu'à sa tête.
Et elle réussit le tour de force d'ébouriffer la très chic "Villa Maraini", cette maison cossue du début du siècle dernier, entourée de pins et d'un jardin luxuriant, qui accueille chaque année une douzaine de pensionnaires artistes et chercheurs, qui s'érige majestueuse à quelques pas de la piazza di Spagna, le coeur du vieux Rome, et qui veille, sur mandat de la Confédération, à faire rayonner la culture et le savoir suisse.
Poings levés et graffitis sur les murs
C'est une lumière pink-violette que guide le visiteur une fois les grilles de l'Institut Suisse poussées. Elle provient d'un immense néon "Miracle", né dans la tête de Sylvie Fleury et installé ici il y a deux ans déjà. Un présage sans doute, puisque la grande rétrospective - la première de l'artiste en Italie - qui vient d'ouvrir et s'y tient jusqu'à la fin du mois de juin, s'avère être particulièrement phénoménale.
Si la façade superbe de la Villa semble découper la nuit romaine avec majesté, à l'intérieur Sylvie Fleury squatte, diffuse ses idées "bizarres" et customise le mobilier séculaire avec des oeuvres récentes et historiques.
Dès l'entrée, le visiteur se trouve face à d'immenses drapeaux sur lesquels sont dessinés des poings levés en signe de protestation... Des poings levés, certes, mais aux ongles longs et manucurés s'il vous plaît. Un peu plus loin, une paire de bottes diffuse tranquillement une fumée épaisse qui masque à peine les longues plumes qui l'entourent. Dans le vestibule, une étagère vitrée, intitulée "Rétrospective", présente les précieux stilettos multicolores de l'artiste. Dans les escaliers, des mannequins aux jambes interminables à peine recouvertes de mini-jupes de grandes marques sont allongés, presque alanguis alors qu'il leur manque à la fois la tête et le tronc. Et puis, sur le mur de l'une des salles, un gigantesque graffiti semble se rire de nous en hurlant : "More Feminism, Less Bullshit": plus de féminisme, moins de conneries.
Une élégance dérangeante et pop
"Il y a une composante réellement autobiographique dans une partie des oeuvres de Sylvie Fleury", souligne Samuel Gross, le directeur artistique de l'Institut Suisse de Rome et curateur de la rétrospective "Chaussures italiennes". "Sylvie Fleury est à la fois un personnage engagé dans la société et une artiste d'envergure. La générosité que l'on peut lire dans ses oeuvres, son aptitude à absorber le temps comme les lieux, puis à les renverser, sa capacité à prétendre à la joie et au plaisir par exemple, elle les défend dans son travail bien sûr, mais aussi dans son enseignement ou sa collaboration avec des très jeunes artistes."
Au-delà du détournement et de l'amusement, au-delà même du fétiche et de la fascination consumériste du néant, Sylvie Fleury pose son regard acéré et drolatique sur l'air du temps, ses contemporains et sur leurs obsessions (et les siennes!) avec une élégance dérangeante et pop. Et son travail dialogue joyeusement avec les moulures et les dorures de la Villa Maraini.
Linn Levy/ld
"Chaussures italiennes", rétrospective Sylvie Fleury à découvrir à l'Institut Suisse de Rome du 29 mars au 30 juin 2019.