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Guillaume Perret: "Je fais des photos pour comprendre ce que je cherche"

Le photographe Guillaume Perret. [Céline Barrelet]
Guillaume Perret, " Amours extraordinaires " / Vertigo / 53 min. / le 4 juillet 2019
Le photographe neuchâtelois et autodidacte a été élu "Photographe de l'année" en 2018. Il expose actuellement à la galerie Focale de Nyon une série d'images intitulée "Amour", qui met en lumière des couples atypiques.

Il a été maçon avant de reprendre des études pour devenir enseignant. Puis, Guillaume Perret s'est mis à la photo, le plus souvent pour honorer des commandes. Il a également cofondé l'agence Lundi 13. "Cela ne fait que trois ans que je réalise un travail plus personnel; l'envie de m'exprimer artistiquement m'est venue sur le tard", dit-il au micro de la RTS.

Pour sa série intitulée "Daniela - la traversée du cancer", le Neuchâtelois a été élu "Photographer of the year" par le jury du Swiss Press Photo en 2018. Cette série, à la fois pudique et crue, a été exécutée sur la demande de Daniela, 67 ans, qui souhaitait documenter les différentes étapes de sa maladie. De ce photographe qui l'a accompagnée dans différents lieux et moments de son combat, elle dit aujourd'hui que "c'est un homme qui voit avec le coeur".

Une des images de la série "Daniela - la traversée du cancer" qui lui a valu le titre de "Photographe de l'année". [Guillaume Perret/Lundi 13 - Guillaume Perret]
Une des images de la série "Daniela - la traversée du cancer" qui lui a valu le titre de "Photographe de l'année". [Guillaume Perret/Lundi 13 - Guillaume Perret]

Guillaume Perret revient cette année avec un nouveau projet intitulé "Amour", une série de photos qui met en lumière des couples atypiques qui ont souffert ou souffrent du regard posé sur eux: des obèses, des handicapés, des couples d'hommes ou de femmes, des tatoués, des couples mixtes ou de grande différence d'âge. Encore une fois, le photographe s'est laissé porter par le désir des autres.

Je n'ai pas fait de casting, ni imaginé un panel de la diversité. Je ne voulais pas établir de normes. Ce sont les gens qui sont venus à moi au travers de petites annonces que j'avais publiées sur Facebook et Instagram.

Guillaume Perret, photographe.

Une morale de l'inconfort

A voir ses images, on pourrait croire que le photographe connaît bien ses sujets, tant il existe d'intimité et de tranquillité dans ses clichés. Il n'en est rien. "Pour la longue série avec Daniela, nous ne nous sommes vus qu'une dizaine de fois. J'aime ce qui est intense et bref. Je ne suis pas à l'aise quand je connais trop les gens; je redoute une forme de complaisance ou une volonté de plaire qui me ferait faire ce qui a déjà été fait. J'ai besoin d'être surpris. Avant de faire la photo, je ne sais pas ce que je recherche, je crois même que je fais des photos pour le comprendre", explique Guillaume Perret, adepte d'une certaine morale de l'inconfort.

C'est le cas, par exemple, de ce cliché de la série "Amours extraordinaires", représentant un couple sans âge qui s'étreint dans les bois.

Une photographie de la série "Amours extraordinaires" de Guillaume Perret. [guillaumeperret.com - Guillaume Perret]
Une photographie de la série "Amours extraordinaires" de Guillaume Perret. [guillaumeperret.com - Guillaume Perret]

"C'est un couple qui vit dans la forêt de manière primitive, dans une cabane perdue, presqu'inaccessible, quelque part du côté de la Chaux-de-Fonds. Nous étions en février, il faisait très froid. J'aimais l'idée du couple nu, détaché de tout attribut, mais je ne voulais pas de photos à l'intérieur du chalet. C'était un peu trop convenu. Je leur ai proposé d'aller dehors. Ils se sont déshabillés dans le chalet, se sont recouverts d'une couverture et nous sommes allés trente mètres en contrebas. Il y avait cette nature merveilleuse, mousseuse, d'un vert presque surnaturel, que je voulais mettre en avant. J'ai reculé pour faire un plan large. Nous avions très peu de temps. Ils ont enlevé leur couverture et se sont pris dans les bras pour se réchauffer. Voilà pourquoi j'aime l'inconfort: il oblige soit à se protéger, soit à aller vers l'autre".

La frustration de ne pas savoir

L'homme à la voiture, une image de la série "Amour". [Guillaume Perret/Lundi 13 - Guillaume Perret]
L'homme à la voiture, une image de la série "Amour". [Guillaume Perret/Lundi 13 - Guillaume Perret]

Une autre image de la série fascine, celle d'un homme buriné, assis dans sa voiture, le bras appuyé à la fenêtre. Un geste plutôt viril. La scène ressemble à un plan de film américain. Rien d'anormal à première vue jusqu'à ce que cette main aux ongles peints en rouge vienne perturber l'harmonie. "Les gens ne supportent pas cette image parce qu'elle est énigmatique: est-ce la main de l'homme? Celle d'une femme? D'un travesti? L'image n'offre aucune réponse. Les gens détestent ne pas savoir, et même si je connais la réponse, je ne dirai rien. J'aime ce genre d'accidents, de petite perturbations".

Après l'exposition à Nyon, les images d'"Amour" devraient être finalisées par un livre. En attendant, Guillaume Perret a réalisé une série de photographies dans le tunnel du Lötschberg: quatorze minutes dans la voiture d’inconnus embarqués sur un train. "L'exercice était très contraignant: pas de lumière, peu de recul. Aucune photo n'est exceptionnelle mais la série fonctionne".

Porpos recueillis par Laurence Froidevaux

Adaptation web: Marie-Claude Martin

Les images de la série "Amours extraordinaires" sont à découvrir sur le site de Guillaume Perret

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