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Lapin fluo et loups empaillés, l'art contemporain crée son bestiaire

Véronique Mauron.
Image transmise par Véronique Raboud (assist.) pour Chouette! 2019
Michel Vernimont [Michel Vernimont]
Art et Animaux - Véronique Mauron, historienne de lʹart, Dr. ès Lettres de lʹUniversité de Lausanne et dir. artistique / Chouette ! / 26 min. / le 11 juillet 2019
Du coyote de Joseph Beuys aux installations tissées par les araignées de Tomàs Saraceno, notre rapport aux animaux devient un motif récurrent des artistes du XXIe siècle. Une manière d'interroger notre civilisation et de repousser les limites de l'art.

L'animal a toujours eu sa place dans l'art, et ce dès les premières fresques rupestres. Mais la première oeuvre où apparaît un animal tout seul, sans la présence d'un humain, remonte à 1548. Il s'agit de "Deux Chiens de chasse liés à une souche" de Jacopo Bassano. Le peintre vénitien met en scène en pleine nature ses propres chiens, deux braques, qui posent comme des modèles. Ils ne sont plus des accessoires, des faire-valoir, mais des sujets.

"Deux chiens de chasse liés à une souche" (1548), de Bassano, premier portrait animalier de la peinture ocidentale. [Musée du Louvre - 2009 RMN /Stéphane Maréchalle]
"Deux chiens de chasse liés à une souche" (1548), de Bassano, premier portrait animalier de la peinture ocidentale. [Musée du Louvre - 2009 RMN /Stéphane Maréchalle]

C'est donc le premier portrait animalier de la peinture occidentale, même si "Le lièvre" de Dürer (1502) le précède de quelques années. Mais il s'agit d'avantage d'une étude que d'un portrait. "Bassano n'anthropomorphise pas et peint les chiens tels qu'en eux-mêmes; des chiens de chasse assis, enchaînés à un arbre, qui attendent leur maître", explique Véronique Mauron, historienne d'art, enseignante à l'EPFL et curatrice des expositions à la Ferme Asile.

Cette huile est exposée au Louvre, dans la salle la plus prestigieuse, celle où trône la Joconde et plusieurs portraits du Titien. C'est dire à la fois sa qualité et son importance historique.

L'animal comme réflexion sur la peinture

Un autre tableau du Louvre frappe par sa modernité, "La Raie" de Chardin (1726) qui ferait presque penser à un Bacon. Cette nature morte est divisée verticalement en deux parties: le vivant à gauche, avec les huîtres et le chat hérissé; l'inanimé à droite, avec les ustensiles de cuisine. Au centre, comme pour faire la transition entre les deux mondes, une raie comme un fantôme sanguinolent, les viscères à l'air.

"Pour Chardin, cette "Raie" est une réflexion sur la peinture, ses textures et sa composition. Il montre comment la peinture est faite de couleurs qui coulent, qui jouent avec la lumière et qui donnent leur incarnation aux chairs, comme si le tableau produisait sa propre substance. Et la raie y est suspendue comme on suspend une toile" précise Véronique Mauron.

"La Raie", de Chardin (1728) [Leemage/AFP]
"La Raie", de Chardin (1728) [Leemage/AFP]

L'animal comme réflexion sur notre civilisation

La première performance marquante avec un animal remonte à 1974. On la doit à l'Allemand Joseph Beuys qui, dans "I like America and America likes me" - mise en scène dans une galerie new-yorkaise - passe trois jours en compagnie d'un coyote sauvage. Homme et animal s'observent, se jugent, s'apprivoisent tandis que les spectateurs assistent à la scène à travers un grillage.

L'artiste recouvert d'étoffes - que le coyote déchire - joue de sa canne, de sa lampe torche, dans un ballet à l'esprit animiste.

Beuys est un artiste-médecin. Pour lui, l'art peut soigner les sociétés malades de leurs guerres et de leur consommation abusive. Par cette performance un peu chamanique, il essaie d'initier des rapports nouveaux et différents avec l'animal. Beuys ouvre la voie à l'art contemporain, préoccupée par la régénération.

Véronique Mauron, historienne d'art.

Avec cette nouvelle génération d'artistes, le mot "environnement" devient obsolète puisque l'homme n'est plus extérieur à la nature mais il en est partie prenante. C'est la démarche de la jeune Suissesse Luzia Hürzeler qui s'interroge sur la place que nous faisons à l'animal et sur son avenir. Son installation, début 2019 à la Ferme Asile, intitulée "Qui a vu le loup" avait frappé les esprits, soit une dizaine de caissons lumineux présentant d'un côté l'image d'un loup empaillé et de l'autre celle d'un paysage, le lieu exact où ces loups, tous tués en Valais, avaient été tirés.

"Ce que voulait dire Luzia Hürzeler à travers son installation, c'est que notre milieu est partageable et qu'il faut faire des animaux des co-habitants pour mieux les connaître et entrer en relation avec eux", précise Valérie Mauron.

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L'animal comme réflexion sur l'art et la science

En questionnant notre rapport à l'animal, l'artiste argentin Tomàs Saraceno pousse très loin la fameuse et toujours polémique question: qu'est-ce que l'art? Pourquoi en effet les spectaculaires toiles tissées par les araignées ne constitueraient-elles pas une installation artistique digne de ce nom? C'est ce qu'il suggère avec "On Air" où l'artiste a laissé travailler des araignées dans un espace noir et éclairé. L'enchevêtrement de leurs fils est à la fois complexe et d'une rare beauté.

La démarche est autant artistique que scientifique puisque les tissus des araignées sont devenus des objets d'études pour les ingénieurs. L'animal n'intéresse plus seulement pour ce qu'il est mais aussi pour ce qu'il fait, et qui peut nous inspirer.

Véronique Mauron

Enfin, que penser du lapin fluo d'Eduardo Kac? Celui qui se présente comme un "artiste transgénique" entend créer des êtres vivants uniques à seules fins artistiques. Baptisée Alba, cette lapine albinos a été modifiée génétiquement en 2000 pour devenir fluorescente quand on la soumet à un éclairage ultraviolet.

L'"oeuvre d'art" du californien Eduardo Kac a soulevé maintes polémiques. Peut-on parler d'art s'agissant d'un objet vivant? Peut-on avoir des droits d'auteur dessus? Mais les critiques les plus vives ont été formulées par les associations de défense d'animaux et les milieux scientifiques, choqués que l'on puisse utiliser un animal destiné à la recherche sur le développement embryonnaire à des fins commerciales. Reste qu'Alba est devenue l'icône du bio-art.

Propos recueillis par Nancy Ypsilantis/ Adaptation web: Marie-Claude Martin

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