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Comme King Kong, les Pokémons révèlent la violence de nos sociétés

Marc Atallah.
Image transmise par Véronique Raboud (assist.) pour Chouette! 2019
DR [DR]
Numerik Games - Marc Atallah, Dir. de la Maison dʹAilleurs à Yverdon-les-Bains. / Chouette ! / 25 min. / le 23 août 2019
Le monde numérique et ses bestiaires peuvent aussi procurer d'immenses émotions. C'est ce que souhaite montrer Marc Atallah avec les Numerik Games qui se tiennent à Yverdon-Les-Bains du 30 août au 1er septembre.

Qui sont les animaux numériques? Sont-ils de rassurants doudous ou de terribles hybrides fantastiques? Vivent-ils dans des mondes meilleurs que le nôtre ou plus effrayants?

Avec l'organisation des Numerik Games, Marc Atallah, directeur de la Maison d'Ailleurs à Yverdon-Les-Bains et membre du comité de l'association Numerik Games, entend donner certains éléments de réponse.

Le jeu vidéo, une fiction interactive

Lors du dernier jour du festival Numerik Games, un artiste va intégrer en direct une créature imaginaire dans le jeu de réalité augmentée "Opticale". Dans ce jeu, le joueur peut observer des créatures imaginaires à travers la caméra de son téléphone portable. "L'idée de pouvoir convoquer des créatures ou des animaux transformés pour rendre des scénarios plus intéressants appartient à la fiction en règle générale" estime Marc Atallah. "Ce type de scénario est plus intéressant à jouer que des scénarios qui se déroulent dans le monde réel, parce que nous vivons déjà dans le monde réel!"

Le jeu vidéo n’est rien d’autre qu’une forme spécifique de fiction. La différence entre le jeu vidéo et le roman, c’est que c’est vous qui décidez où vous allez.

Marc Atallah, directeur de la Maison d'Ailleurs

"La fiction fonctionne sur l'empathie. Pour que le lecteur ou le joueur de jeux vidéo ait envie de lire ou de jouer, il faut qu'il y ait dans l'univers fictionnel quelque chose de suffisamment proche de lui pour qu'il puisse, par empathie, vivre dans cet univers et éprouver des émotions. Pour convoquer cette empathie, l'une des choses possibles est l'aspect mimétique: on doit pouvoir reconnaître", explique encore Marc Atallah

L'organisateur des Numerik Games donne un exemple: "Si je mets une araignée réaliste dans un jeu vidéo, quel est l'intérêt pour le joueur s'il ne peut rien en faire? C'est pour cela que dans le jeu vidéo, l'animal est souvent transformé, voire anthropomorphisé. Cela permet d'établir une relation avec le joueur, qu'elle soit empathique – le joueur s'occupe de l'animal ou vice-versa –, ou antipathique – l'animal attaque le joueur, il le fuit, etc."

Les Pokémons revisitent une tradition rurale japonaise

Depuis plus de vingt ans, les Pokémons ont envahi le monde numérique... et le monde réel. Avec un dessin animé, des films, des jeux vidéo, des cartes à jouer et des produits dérivés comme des peluches, ces créatures se vendent bien. Un joli coup marketing, mais pas seulement. Marc Atallah explique: "A la base, c'est un créateur japonais qui revisite une vieille tradition des campagnes. Les enfants s'amusent à aller chercher des insectes dans la forêt, puis ils organisent des tournois de ces insectes entre eux. C'est exactement ce que va faire le jeu, dont le slogan est "attrapez-les tous". Comme il est destiné aux enfants, on va rendre ces créatures mignonnes. En revanche, elles se battent comme dans le monde réel."

Dans les années 90, le monde a changé. De nombreux Japonais ont quitté leur campagne pour la ville, mais ils peuvent s’y reconnecter grâce à ce monde virtuel qui est le monde du numérique. On est loin du truc purement marketing, il y a quand même un fond sociétal qui existe et qui fait qu'on joue avec quelque chose qui évoque notre culture.

Marc Atallah, directeur de la Maison d'Ailleurs

La fiction pour faire ou défaire notre relation à la nature

"Les problématiques que nous rencontrons au quotidien – la disparition de la nature, la vie en harmonie avec elle etc., se reflètent symboliquement dans le jeu vidéo et la fiction." De "King Kong" à "Rampage", Marc Atallah souligne un point important: ces animaux sont rendus hostiles par la ville et ses constructions humaines qui effacent peu à peu la nature. Autrement dit, nous vivons dans un monde extrêmement violent envers les animaux.

Le message du jeu vidéo serait-il donc un désenchantement de notre société? Marc Atallah n'est pas d'accord: "L'une des forces de la fiction contemporaine, à condition d'être lue et analysée, c'est qu'elle peut venir pointer des éléments à priori désenchantants: par exemple, notre niveau de tolérance envers les animaux en ville est quasi nulle. Si je suis capable de voir cette violence faite au monde naturel et au monde animal, je me rends compte que dans un deuxième temps je suis aussi en mesure de pouvoir réagir. Je ne dis pas que le jeu vidéo va réenchanter le monde, mais en mettant en scène la symbolique de notre monde à nous, il peut donner la possibilité au lecteur ou au joueur de s’interroger autrement".

L'animal le plus important aux Numerik Games, selon lui? L'humain! "Nous sommes devenus des animaux consuméristes. Notre rapport au numérique est extrêmement standardisé. Le but des Numerik Games, c'est de proposer d'autres projets artistiques en espérant que peut-être, dans ce monde numérique-là, on puisse réenchanter le monde."

Propos recueillis par Nancy Ypsilantis/ms

Le festival Numerik Games, du 30 août au 1er septembre à Yverdon-les-Bains.

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