Quand un tableau nous inspire, on dit souvent qu'on pourrait s'y plonger. Mais si on s'y plongeait vraiment, on sentirait ses odeurs, celle par exemple de la "Conversation dans un parc" (1750) de Thomas Gainsborough, où une jeune femme et un jeune homme un peu raides bavardent à l'orée d'un bosquet, dans un décor romantique et mousseux.
Justement, ce tableau de la moitié du XIXe siècle a été choisi par un des huit parfumeurs mandatés par l'Officine Universelle Buly, une marque de beauté française à l'esthétique XIXe siècle, pour lui associer une fragrance.
Une odeur typiquement anglaise
Celle proposée par Dorothée Piot évoque la rondeur d'un bouquet à l'anglaise, avec ses notes de roses, de menthe poivrée et de bergamote. Le parfum n'accompagne pas directement le tableau - et c'est dommage - mais il est proposé à la boutique éphémère du musée, et décliné sous différentes formes: en flacon, bougies, diffuseur d'ambiance, feuilles de savon et cartes postales parfumées.
Au-delà de la réussite marketing de l'opération, cette dimension olfactive apporte une dimension supplémentaire à l'oeuvre.
L'odorat est lié à une zone du cerveau impliquée dans les émotions et la mémoire. L'odorat porte une charge sensorielle beaucoup plus forte que la vue.
Sept autres oeuvres, trois statues et quatre toiles, ont inspiré des parfums: "La Vénus de Milo"; "Saint Joseph Charpentier" de Georges Latour; "La Victoire de Samothrace"; "La Nymphe au scorpion" de Bartolini; "Le Verrou" de Fragonard et deux toiles d'Ingres, "La Baigneuse" et "La Grande Odalisque". Pour cette dernière, Dimitille Michalon-Bertier a imaginé un parfum aux accords d'encens, de poivre rose rehaussés de notes musquées, une fragrance qui permet de saisir illico l'hyper-sensualité du tableau.
L'art contemporain s'intéresse à ce sens longtemps méprisé
Annick le Guerer rappelle que des cinq sens, l'odorat, depuis l'Antiquité, a toujours été le parent pauvre. "Pendant des siècles, il a été décrié par les scientifiques, les philosophes et les psychanalystes qui l'ont toujours jugé inférieur, sans noblesse, parce que trop lié à l'animalité et à la sexualité".
Mais depuis quelques années, l'art contemporain s'intéresse à nouveau à l'odorat, à l'image des sculptures interactives et odorantes du Brésilien Ernesto Neto ou d'une Sophie Calle réféchissant à l'odeur de l'argent.
L'an dernier, trois musées en Suisse romande ont rendu hommage simultanément à ce sens longtemps méprisé. Depuis, les scientifiques l'ont largement réhabilité, notamment en prouvant que l'odorat était le premier sens perceptible par le foetus, donc un déclic pour le développement du cerveau.
Sujet proposé par Ariane Hasler
Adaptation web: Marie-Claude Martin