Une famille suisse doit survivre sur une île lointaine suite à un naufrage. C'est sur cette base que le dessinateur romand Alex Baladi a adapté à sa manière très graphique la traduction française datant du début du XIXe siècle qu'a faite la Baronne de Montolieu d'un roman écrit en allemand à l'origine d'une série télé des années 70, "Les Robinsons suisses". Le Veveysan d'origine et Berlinois d'adoption va surtout malaxer et métamorphoser la matière de la Baronne pour en faire une bande dessinée à la portée politique qu'il croque avec un mélange de découpages et de couleurs directes.
Les Robinsons de Baladi sont une famille suisse, Les Zermatt, dont l'histoire débute quatre ans après leur naufrage sur une île, alors qu’elle y est installée et y vit entre chasse et défis d’intendance. Mais la mère disparaît, kidnappée semble-t-il, avec le cadet des trois enfants. Les coupables : des sauvages! C’est clair pour le père, moins pour les frères. Et Alex Baladi d’introduire ici la question de la représentation de l’autre, question profondément politique.
"Il a chamboulé les codes de la BD"
A la RTS, le dessinateur qui a débuté par le noir et blanc voilà trente ans évoque des inspirations du côté du film d'animation "Yellow Submarine" des Beatles, des affiches pop polonaises ou des bandes dessinées qu'il lisait dans les années 70 ("Lucky Luke" notamment) pour son utilisation et son traitement de la couleur.
A Lausanne, au BDFIl, une exposition en forme de rétrospective dont une mise en scène de son "Robinson suisse" célèbre le travail prolifique d'Alex Baladi qui en est cette année l'invité d'honneur et en signe par ailleurs l'affiche. Aux yeux de Dominique Radrizzani, directeur de BDFIL, Baladi est un artiste indépendant qui compte énormément dans le paysage international de la bande dessinée: "Je pense que c’est un des rares artistes de BD qui a chamboulé les codes, qui a inventé des nouveaux chemins de BD. Il dessine sans arrêt, il réfléchit sans arrêt, il pense. Il va du noir et blanc à la couleur, de la BD muette à la BD qui parle. C’est un artiste anti-classique et le festival adore s’aventurer dans des expériences anti-classiques".
Olivier Horner
Festival BDFIL, Lausanne, du 12 au 16 septembre 2019.
BD: "Robinson suisse", éditions Atrabile.
Baladi découvre tout d’abord Les Robinsons suisses sous forme de série télé durant les années 70, puis tombe par hasard bien des années plus tard sur le roman à la base de la série, roman écrit en allemand par un écrivain bernois, et datant du début du 19e siècle. C’est en jouant avec l’idée d’adapter ce livre (qu’il n’a toujours pas lu!) qu’il déniche alors la traduction qu’en a fait la Baronne de Montolieu.
Mais la Baronne de Montolieu ne s’est pas contentée de traduire le livre, elle en a changé certains passages jugés trop moralisateurs, et a même écrit des chapitres supplémentaires au roman. Baladi va donc décider de s’atteler à une adaptation, mais en commençant par le chapitre 37 (le premier de la suite écrite par la Baronne, vous suivez?) et en se sentant très libre (comme la Baronne!) dans son adaptation. De la matière première, il va garder la situation de base (une famille suisse doit survivre sur une île lointaine suite à un naufrage) et le charme un peu suranné des histoires d’aventure à l’ancienne; mais Baladi va surtout malaxer, transformer, trahir et transcender cette matière pour en faire une bande dessinée à la portée évidemment politique. Il faut le préciser, la paisible famille suisse craint une confrontation avec de terribles sauvages qui semblent rôder, des sauvages que certaines caricatures montrent menaçant et dangereusement enturbannés…
Au niveau graphique, Baladi s’est surpassé et propose un travail en couleur rare, mélange de découpages et de couleurs directes, et réalise ainsi certaines de ses plus pages.