Né à Zurich en 1924, d'un père allemand et d'une mère bâloise, le photographe Robert Frank, monument de la photographie, est mort lundi à 94 ans, au Canada, où il vivait depuis les années 70.
Il a 23 ans quand il quitte la Suisse pour émigrer aux Etats-Unis juste après la Deuxième Guerre mondiale, en 1947. Après son arrivée aux Etats-Unis, il travaille brièvement comme photographe de mode pour "Harper's Bazaar", mais préfère le reportage.
Réfugié artistique
Ses images paraissent dans des magazines suisses et internationaux comme "DU", "Life", "Paris-Match" ou "Stern", pour lesquels il voyage en Amérique du Sud et en Europe. Il se considérait alors comme un "réfugié artistique" en Amérique, estimant que la Suisse avait des valeurs trop étriquées pour lui.
Cela ne l'empêchera pas d'être honoré dans son pays d'origine à plusieurs reprises. En 2009, il reçoit des mains de Pascal Couchepin le Grand Prix Design de la Confédération tandis qu'en 2012, la Fondation Reinhardt von Graffenried lui décernait une distinction spéciale, jugeant que Robert Frank avait "redéfini la photographie du 20e siècle par son oeuvre exceptionnelle".
Son regard a changé le notre
En 1955, il obtient une bourse à la Fondation Guggenheim, qui lui permet de sillonner pendant deux ans les Etats-Unis avec son Leica. Il prend près de 28'000 photos et en sélectionnera 83 pour en faire un livre, "Les Américains", d'abord publié en France, puis aux Etats-Unis avec une préface de l'écrivain Jack Kerouac.
Avec son petit appareil photo, qu'il élève et manipule d'une seule main, il a tiré de l'Amérique un triste poème, prenant sa place parmi les poètes tragiques de ce monde.
Le regard sans concession et le sens de la composition du photographe rendront l'ouvrage mythique et influenceront les générations suivantes. "Les Américains" s'inscrit dans la lignée de la Beat Generation, mouvement littéraire et artistique, où l'instinct l'emporte sur les fondements des techniques du photojournalisme.
J'ai essayé d'oublier les photos faciles pour tenter de faire surgir quelque chose de l'intérieur.
L'ouvrage avait été fraîchement accueilli, considéré comme déprimant et subversif, révélant la face sombre de l'"American dream": pauvreté, ségrégation, inégalités et solitude.
Film sur les Rolling Stones
Dans les années 1960, Robert Frank se détourne de la photographie au profit du film. Proche de la "Beat-generation", il réalise "Pull My Daisy" (1959), basé sur une pièce de Kerouac. Une vingtaine de films suivront.
Le plus connu reste un film que presque personne n'a vu: "Cocksucker Blues" (1972) sur les Rolling Stones en tournée, sexe et drogues inclus. Le groupe voulait le faire interdire, craignant une mauvaise publicité. Un juge a alors proféré un jugement de Salomon: le film ne pourra être montré qu'en présence de son réalisateur. Il le sera par exemple en 1999, au Festival Visions du Réel à Nyon (VD), où il était invité.
Retour à la photographie
Dans les années 1980, Robert Frank revient à la photographie. Sa monteuse et amie, Laura Israël, lui consacrera un documentaire en 2013 "Robert Frank - L'Amérique dans le viseur", où il balaie avec humour 60 ans de carrière. Au micro de Patrick Ferla, le photographe reviendra sur ses drames personnels, la mort de ses enfants, notamment.
En 2009 et 2010, une grande rétrospective lui a été consacrée par la National Gallery of Art à Washington et le Jeu de Paume à Paris. En 2018, les Rencontres photographiques d'Arles rendaient hommage au photographe avec des clichés connus et inédits de son livre "Les Américains".
ats/mcm